Au corps du poème, l'engagement avec Rim Battal
Une poésie charnelle, incisive et malicieuse, revendiquant ses droits même là où l’on ne s’y attend pas.
Rêve d’or
Maman Champagne
Maman déambule dans son jardin
Enveloppée de papier bulle
qu’elle fait éclater elle embaume
comme une amulette
ce parfum Champagne
son préféré et avant lui
Rêve d’or
parfum préféré de sa mère avant elle
(Les mères ont des mères aussi,
je n’ai jamais compris)
Maman aux cheveux teints en blond
arrache le fruit de l’arbre et dit :
« Ce sont des figues bio du jardin de tes parents
Prends »
Elle me tend ce fruit
Nourri à l’eau de vaisselle.
Il sentait le rêve d’or et le Pays Sûr.
J’ai fait « hum c’est bon » puis je me
cachai et crachai
Le jus amer de ma mère aux cheveux blonds obscurs.
Jamais je ne porterai de parfum.
De ses mains éternelles s’est étendu
Le pouvoir.
« Baise mes pieds » de ses lèvres qui durent
« Le paradis est en dessous »
Ils ont tous dit « Oui ».
Je ne vis qu’une vague gravure
empreinte de la cuisine, bout d’oignon
trace du tapis dans le salon.
Elle a dit : « Mohamed a pourtant dit… »
Ils ont tous dit « Oui »
Je dis « Vous êtes tous fous ». NON.
« Tu es folle. Tu es maudite »
Je haussai les épaules. Tant pis.
Fussent-ils ceux de ma mère,
jamais je ne baiserai des pieds.
Marocaine vivant entre Marrakech et Paris, la journaliste, photographe et plasticienne Rim Battal est entrée en poésie en 2015, avec ce premier recueil, « Vingt poèmes et des poussières », publié aux éditions Lanskine.
Chargeant d’abord son redoutable barillet avec les mots et les sensations, si simples en apparence, d’un café échappant à la main au lendemain d’une cuite (« J’ai cassé ma tasse de café ce matin et je crois que je suis encore grise de la veille. Haha. »), ou des seins abondants d’une nounou d’enfance (« Vénus »), elle introduit très vite, au détour d’une réminiscence olfactive par exemple (« Rêve d’or »), tout un potentiel de désaccord et de révolte qu’elle secrète vis-à-vis de ce qui s’est fait, se fait et doit se faire (« La vilaine ! », « La vierge audace »), si l’on en croit certains standards, où la religion tient trop de place et où le matriarcat même peut se révéler traître (« Rêve d’or », à nouveau), et où toute déviation pourrait vite être taxée d'occidentalisme (« Mars One »).
Hot couture
Il fait un temps à se pendre
Il pleut des cordes
Et ma vie ne tient qu’à un fil
L’appel à la liberté qui vibre au fil des pages ne tombe à aucun moment néanmoins, bien au contraire, dans la naïveté sentimentale ou la foi irraisonnée en un amour teinté de rose : désarroi (« Mein Herz ist gebrochen (le poème allemand) »), mélancolie (« Rouge solitude », « Ophélies »), découragement (« Le poème interrompu », « Hot couture »), regret et culpabilité (« Moi, ils »), s’invitent aussi en rythme ici, même si la sensualité et le corps amoureux semblent bien in fine disposer des munitions nécessaires pour s’affirmer (« St. Beast », « Moi, je, toi, qui » – qui offre ici l’intensité du Gherasim Luca de « Héros-limite » -, « Amours solitaires 2.0 », « Mon téléphone », ‘L’île flottante », « Moi, vous », « Messaline Zohra »).
Dieu est gentille, il suffit de demander
Il devait être 3h20 quand le temps s’est endormi.
Clameurs des vents
éternels et des pluies
berceuses et voix amies
J’entendis la tienne, la sienne, la leur. Dieu était nue et marchait dans mon appartement. Elle me disait : « c’est maintenant, l’heure est venue
il n’y a plus de saisons… que veux-tu… »
« Rien, lui dis-je. Les jours vont et viennent toutes les nuits c’est l’été la fièvre et mes journées sont toutes hivers l’automne arrivera bien dans quelques années. Peut-être un printemps.
Je me languis du printemps.
C’est pour quand le printemps ? »
Près de la fenêtre, presqu’envolée
Elle me dit, sac de temps sur le dos :
« combien tu veux ? »
« Je veux un printemps et demi »
Cliquetis des clés dans sa poche.
Il devait être 13h10 quand le temps s’est arrêté.
C’est peut-être lorsque les différentes approches de cette poésie charnelle et subtilement engagée se mettent à fusionner que le pouvoir secret en devient le plus déroutant et le plus captivant encore, lorsqu’y vacillent l’injonction (« Ce qu’il faut faire »), le chagrin interdit (« L’être morte » – où rôdent certains accents résonnant avec ceux de Gabrielle Wittkop), ou encore le clin d’oeil à l’espoir (« Dieu est gentille, il suffit de demander »), directions puissamment rassemblées, sous le signe de la revendication poétique éventuellement brutale, dans le plus long texte du recueil, « Chopin, Ballade n°3 »., pour un bouleversant feu d’artifices incisifs en 23 poèmes et 44 pages incluant 7 tirages issus de l’œuvre photographique de Rim Battal.
Moi, vous
Moi, je suis là.
Rouge rose crème mains pieds jambes shampoing pour cheveux secs noir noir noir marron sur les paupières chaussures à talons rouges noirs gris jaunes dorés dorures cirées daim cire cuir dentelle soie sur soi lunettes noires noires noires collier fantaisie vernis qui brille femme de pacotille.
Voyez mes artifices, ils sont tous là, vous les connaissez.
Vous le savez, n’est-ce pas ? Vous le savez.
Je suis claire, transparente.
Je ne suis rien, moi. Je suis faible et je n’ai que le pouvoir que vous me donnez.
Et vous ?
Où êtes-vous ?
Il y a quelqu’un ?
Rim Battal - Vingt poèmes et des poussières - Lanskine éditions
Hugues Charybde le 5/05/2020
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