L'AUTRE QUOTIDIEN

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Nakagin Capsule Tower, la révolution qui n'a pas eu lieu

Noritaka Minami, photographe japonais basé à Chicago, a photographié la Nakagin Capsule Tower, premier hôtel capsule de Tokyo. Son livre, 1972, en relate l’état et retrace l’histoire de ce projet futuriste qui devait changer la métropole japonaise.

Le bâtiment est une vue d’un avenir qui n’a jamais existé et comme un anachronisme architectural au sein de la ville. Malgré le projet de Kisho Kurokawa de produire en masse ces capsules, cette structure est unique au monde. Aujourd’hui, le bâtiment est menacé de démolition pour faire place à des appartements classiques.
Noritaka Minami

Bordée par une autoroute surélevée et deux rues étroites, la tour à capsules Nakagin est située dans le quartier de Ginza, au cœur de Tokyo. Composée de deux tours en béton sur lesquelles sont fixées 140 capsules de dimensions identiques, la silhouette singulière de ce bâtiment correspond à un principe issu à la fois de la tradition japonaise et de l'innovation la plus radicale : l'architecture impermanente. Quarante-sept ans après sa construction, elle est entièrement recouverte de filets de sécurité, comme une relique d'un flamboyant futur parfait. Et son sort doit être décidé d’ici peu… 

Conçue en 1972 par l'architecte japonais Kisho Kurokawa, la tour à capsules Nakagin est l'un des rares exemples d'architecture métaboliste à avoir été construite. Le mouvement s'est développé dans le Japon de l'après-guerre, une période complexe qui a produit un énorme changement d'identité consécutif aux atrocités de la Seconde Guerre mondiale, le rejet de l'architecture japonaise du début du XXe siècle, connue sous le nom de Giyofu, basée sur l'imitation occidentale, et la reconstruction du Japon à grande échelle. Confrontés à l'injonction de l'autorité publique de construire le Japon de demain, les architectes ont proposé une synthèse entre les traditions de leur culture millénaire et les mouvements d'avant-garde, portés par une forte croissance économique. Le point culminant du mouvement des Métabolistes a été l'Expo 70 à l'Exposition universelle d'Osaka.

Le métabolisme a été initié en 1960, après la découverte de la double hélice de l'ADN, dont le modèle a été utilisé par Kisho Kurokawa dans son projet d'extension de Tokyo dans la baie, Helix City. Mais les jeunes architectes du mouvement se sont également inspirés des enseignements bouddhistes, à savoir l'idée de Rinne, un concept signifiant la "roue de la vie", qui les a amenés à voir l'architecture et le développement urbain à travers un temps cyclique infini. Ce concept requiert une forme biologique d'imagination, grâce à laquelle la tour à capsules Nakagin peut être considérée comme un arbre architectural : le tronc central rassemble tous les fluides, tandis que les 140 capsules amovibles mesurant seulement dix mètres carrés, - comme les feuilles -, forment des habitats individuels d'une durée de vie limitée.

Pour les Métabolistes, la transformation perpétuelle doit avoir lieu au cœur de la Mégapole. Durant la seconde moitié du XXe siècle, les villes ont connu une croissance incontrôlée et frénétique. La réponse des Métabolistes à ce problème, qui deviendra leur fer de lance, est un type d'urbanisme combinant des méga-infrastructures pérennes et des habitations préfabriquées et interchangeables. Ainsi, les villes peuvent se développer autour d'artères horizontales et d'immeubles de grande hauteur ou d'ensembles de terrasses superposées, destinés à accueillir des unités d'habitation temporaires. Avec deux tours centrales en béton armé et 140 logements capsules démontables, la tour à capsules Nakagin est un parfait exemple de ce type d'architecture.

Si ce type de système urbain n'a pas été développé depuis, l'idée d'une ville sans cesse renouvelée est une analyse partagée par de nombreux architectes contemporains. Pour Toko Ito, architecte bien connu et héritier de Métabolisme, la vie d'un bâtiment est terminée lorsqu'il n'est plus fonctionnel. L'un des exemples les plus célèbres est le White U qu'il a construit en 1976 pour un commissaire privé. Vingt et un ans plus tard, la maison ne correspondait plus aux besoins de la famille, et le propriétaire, avec l'architecte, a décidé de la démolir. La régénération urbaine ne peut être planifiée à l'échelle de la ville, elle est organique et s'organise au rythme des cycles de vie, ou, comme on dirait aujourd'hui, des rythmes des cycles d'"usage" de chaque bâtiment. En ce sens, la tour à capsules Nakagin pourrait très bien être démantelée afin de construire un bâtiment répondant aux normes modernes.

Comme une capsule spatiale, l'habitat des Nakagin est un refuge pour l'homme moderne assailli par l'information. C'est le cocon dans lequel se glisse l'employé pour dormir, éventuellement manger, s'informer ou méditer. Télévision, magnétophone et téléphone : toutes les technologies de l'information les plus récentes sont intégrées directement dans les murs du studio. En 1969, quelques années avant la construction de la tour à capsules Nakagin, Kisho Kurokawa a publié Homo movens, un essai dans lequel il théorise ce nouvel être humain, un individu augmenté grâce aux fonctions technologiques de son logement, et dont la liberté suprême est la mobilité. L'habitat devient une prothèse, à mi-chemin entre la coquille d'escargot et la micropuce incrustée sous la peau : l'architecture cyborg.

"La capsule est destinée à instituer un système familial entièrement nouveau, centré sur les individus... l'unité de logement basée sur un couple marié va se désintégrer ", prédisait Kurokawa. La capsule est l'outil de planification urbaine destiné à inaugurer une nouvelle société. Si la tour à capsules Nakagin témoigne de l'échec de cet objectif, Kisho Kurokawa a poursuivi ses recherches sur les microhabitats, abandonnant l'idée d'un habitat mobile. En 1979, il a inauguré l'Osaka Capsule Inn, premier hôtel capsule dont le concept s'est alors répandu dans tout le pays et dont on a parlé dans le monde entier.

Le consortium immobilier qui avait réussi à obtenir de 80% des habitants du lieu l’autorisation de raser la tour pour construire des logements plus spacieux - on rappelle que le prix du tm2 à Tokyo est un des plus chers du monde -, vient de subir un sérieux revers de la part des défenseurs de la préservation du bâtiment car, celui-ci est entré dans l’imaginaire collectif; à la fois source d'inspiration pour le cinéma, l'art contemporain et les romans graphiques. Dans les villes invisibles : Metabolism Part 1, le premier d'un quadritpyque urbain, l'artiste français Pierre-Jean Giloux imagine ce qu'aurait été Tokyo si les nombreux projets de Metabolist avaient été construits dans toute la mégapole. Dans une déambulation aérienne, mêlant images de synthèse et séquences vidéo, l'artiste nous plonge dans l'atmosphère d'une ville reconnaissable, bien que nous découvrions des bâtiments qui n'ont jamais été construits et qui prennent vie : les bâtiments de Helix City de Kisha Kurokawa et de City in the Air d'Arata Isozaki se fondent dans le Tokyo d'aujourd'hui à tel point que le Centre de presse et de diffusion de Shizuoka de Kenzo Tange et la Tour à capsules Nakagin sont indissociables des bâtiments imaginaires. L'avenir de la tour pourrait bien se trouver dans cet espace flou où l'accumulation d'images remplace l'existence réelle du bâtiment.

Jean-Pierre Simard
Nagakin Capsule Tower de Kisho Kurokawa
1972, reportage photo de Noritaka Minami

Invisible City, Pierre-Jean Giloux, Zéro2 & Solang éditions, Paris, 2018. A l’arrière-plan, un rappel du City in the Air d’Arata Isozaki © Pierre-Jean Giloux