L'AUTRE QUOTIDIEN

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Du tatouage à l'art contemporain du flux par Wes Lang

Bien dans l’air du temps, Wes Lang est parti du tatouage pour arriver à l’art contemporain. Mais, contrairement à nos dirigeants français qui zappent les citations de Jaurès pour leur donner une couleur palote qui les caractérisent, il va puiser chez Philip Guston, Martin Kippenberger et Cy Twombly. Et, au lieu d’en faire un faussaire, comme les sus cités, c’est une œuvre singulière qu’il délivre.

Wes Lang / Grateful Dead, 2016 Screenprint on 100 Classic Crest Smooth Cover Avon Brilliant White 22 × 28 in 55.9 × 71.1 cm Edition of 250

Wes Lang, qui a travaillé dans un salon de tatouage dans sa jeunesse, puise dans un éventail d'influences et de sources pour sa pratique, notamment Philip Guston, Martin Kippenberger, Cy Twombly et même Jean-Michel Basquiat. Ses œuvres sont des rassemblements et des reconfigurations de l'imagerie et de l'iconographie américaines, qui mettent généralement en scène des drapeaux, des crânes, des cow-boys et des aigles. Il intègre également dans son travail des coupures de presse de journaux et de magazines pornographiques. Lang explique : "J'aime prendre l'histoire américaine et ensuite l'ignorer complètement... Cela tient de la critique et du grand amour." Des œuvres comme The Promised Land (2005) et Tits and Flags (2008) démontrent la capacité de Lang à faire référence à des récits historiques ou à des visions utopiques, sans présenter un récit explicite dans l'œuvre elle-même.

aWes Lang lui-même

Jusqu’à présent, Lang a surtout laissé sa marque sur toile et sur papier, même s’il s’est parfois essayé à d’autres supports : sculpture en bronze coulé, collage, papeterie d’hôtel, tissu, verre ou métaux précieux. Les surfaces qu’il créé frémissent ; ses mélanges détonants débordent d’une iconographie élégamment rendue, toujours un peu brute, faite de funestes faucheuses, de chefs indiens, d’icônes déchues de la country, de vamps sensuelles, de légendes oubliées, d’écrivains morts, de motos, de roses et autres plantes, d’oiseaux, de chevaux… autant de motifs qui se disputent la place d’honneur dans des compositions reliées (et résolues) par de mystérieux gribouillis évoquant le vernaculaire doux-amer de Ram Dass ou le taoïsme, en passant par les marges de l’univers.

Wes Lang / We Worship The Good, 2018 Oil on canvas 274.3 x 426.7 cm 108 x 168 inches

La genèse du nouveau travail de Wes Lang a pour origine une pièce unique, exécutée il y a près de deux ans, et que l’artiste a gardée accrochée au mur de son atelier jusqu’à ce que l’inspiration et l’élan se révèlent complètement et en fassent le catalyseur de toute une série. L’œuvre en question, We Worship The Good, est une toile de 274.3 × 426.7 cm représentant une assemblée de chefs indiens, le regard fixe, dont il émane confiance et fierté. Une fois la glace brisée, un groupe de portraits individuels, plus petits, a rapidement suivi. Lang estime que ces compositions ont un caractère plus joyeux que ses précédentes œuvres consacrées au même sujet ; de fait, elles sont plus colorées — les plumes de la coiffe sont teintées de rouge vif au lieu du noir habituel — et évoquent une sorte de vivacité, d’intensité dont il dit qu’elle reflète la sensation générale de bien-être, appréciée et attendue depuis longtemps, qu’il ressent dans sa vie personnelle. D’autres toiles plus grandes figurent des masques rituels de mort et de danse, des têtes de bisons, des récipients amérindiens — dont le vide et l’ouverture sont des clins d’œil à la philosophie du Tao — le tout, comme toujours, saupoudré de crânes et de squelettes, totems emblématiques de l’urgence éphémère de sa mission et présents dès l’origine dans ses compositions. En même temps, on ressent un frémissement dans ses œuvres sur papier, dont nombre représentent la compagne et muse actuelle de Lang, à l’instar de cet autre petit ensemble informel de toiles précieuses.

Wes Lang / Glory Be, 2020Oil and paper collage on canvas 335.3 x 1463 x 10.2 cm

Devenu très célèbre pour avoir collaboré au merchandising de Kanye West en 2013, il représente le post-pop américain, avec un côté sauvage. Pour reprendre les mots de l’artiste, il s’est senti obligé de faire varier l’échelle des œuvres exposées « du timbre-poste au semi-remorque, et tous les formats intermédiaires ». Remarquons également le choix de l’artiste, inédit, d’exécuter l’ensemble de l’exposition à l’huile, lui qui travaillait essentiellement à l’acrylique ou à l’huile en bâton, ce qui a tendance à donner des compositions plus aplaties et bidimensionnelles centrées sur le premier plan. Cet emploi exclusif de la peinture à l’huile créé un champ visuel beaucoup plus riche : les rendus de personnages et d’objets y sont comme suspendus dans l’espace noir profond des surfaces. On notera aussi l’absence totale de texte, élément pourtant central et déterminant dans l’œuvre de Lang depuis le début.


Wes Lang / Wait a Little Longer, 2007 acrylic on canvas 81 x 108 in. (205.7 x 274.3 cm.)

"Je traite mes espaces de la même manière que je traite la réalisation d'une pièce. L'idée est de composer un sentiment et un visuel qui équilibre la couleur, la texture et la matière. Je veux qu'il y ait un flux." Wes Lang

Jean-Pierre Simard le 3/11/2020
Wes Lang est représenté à Paris par Almine Rech