L'AUTRE QUOTIDIEN

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Au Musée d'Art Moderne, Sarah Moon joue sur tous les temps avec Passé/Présent

Installée dans la culture populaire depuis un demi siècle via ses images de mode, Sarah Moon n’en est pas pour autant réductible à ce simple domaine. La preuve en est au Musée D’art Moderne de la Ville de Paris où elle expose ses divers travaux entre images fixes et mouvantes, en cinq films et une galaxie d’images qui en balisent le parcours.

Vogue Italie /Sarah Moon

À rebours de tout déroulé chronologique, Sarah Moon a croisé ici les époques, les typologies, les sujets, afin de montrer leurs porosités. Le parcours est constitué autour d’un choix de films, pour la plupart des adaptations de contes populaires, qui forment un fil narratif à partir duquel le visiteur est invité à évoluer. Chaque film — Circus (2002), Le Fil rouge (2005), Le chaperon noir (2010), L’Effraie (2004), Où va le blanc ? (2013) — fonctionne comme une escale autour de laquelle les images s’organisent et s’animent.

Et cela change tout car, de la créatrice qui, à la fin des 60’s conçoit les campagnes de Cacharel en y infusant un esprit féminin dans un monde hyper macho, on ne retenait que des images lissées, étranges et oniriques, en un hors-temps flagrant qui y accrochait la mode en mouvement.

Pas de hasard car, dans le prolongement de sa carrière de mannequin, au début des années soixante, Sarah Moon commence à pratiquer la photographie en autodidacte et reçoit ses premières commandes. En 1968, sa collaboration avec Corinne Sarrut pour l’image de la marque Cacharel bénéficie d’un écho international dans un domaine, la photographie de mode, dominé par les hommes. Elle façonne un imaginaire immédiatement reconnaissable au fil de ses campagnes, affiches et magazines. Les femmes qui peuplent ses photographies semblent suspendues dans le cours d’un récit où affleurent les références littéraires et cinématographiques. Et on découvre ici un univers aux co-errances multiples que les films rassemblent et expriment pur en donner certaines clés. On va passer par le monde de l’enfance, un onirique qui plonge dans les contes d’Andersen et d’autres pour donner une certaine mesure cadrée à sa vision des choses.

Circus / Sarah Moon

En 1985, à la mort de son assistant, Mike Yavel, Sarah Moon développe une pratique personnelle, au-delà des commandes qui continuent d’affluer. Des thématiques apparaissent de façon rémanente dans ses photographies, à travers une recherche perpétuelle de l’imprévisible et de l’instant suspendu. Laisser des traces et surtout laisser la sienne de trace. C’est ce qu’elle toujours fait et refait avec la dernière salle de l’expo, un hommage à son défunt compagnon de 48 ans, le D.A. très inspiré Robert Delpire, Elle y présente des photographies, des affiches, des livres, des films, qui restituent les activités plurielles de ce personnage phare de l’histoire culturelle française, l’un de ses plus importants éditeurs, mais aussi directeur artistique de l’agence de publicité Delpire qu’il a créée, et fondateur du Centre National de la Photographie qu’il a dirigé de 1983 à 1996. Coup de chapeau à une époque où la pub s’est voulue un art, réussissant à donner le change en mélangeant agitation d’une époque et culture qui va avec.

Sarah Moon

Un catalogue éponyme comprenant des essais et des témoignages est publié aux Éditions Paris Musées. Les images s’y nourrissent les unes des autres et continuent de vivre dans l’exposition, laissant au visiteur la possibilité de faire naître d’autres images immatérielles par ces rapprochements. Ouverture sur d’autres passages, liens multiples… la culture quoi … 

Jean-Pierre Simard le 5/10/2020
Sarah Moon - Passé Présent -> 10/01/2021

Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris 11, avenue du Président Wilson 75016 Paris