Vite fait discographique au pays du mensonge triomphant
Le quotidien de la culture est de confronter ce qu’on entend, voit, lit et perçoit à un flux continu/barrage de discours prédigérés, celui tenu par le gouvernement acculturé de la France de 2020. Jupiler a des serfs et leur fait dire les mots d’usage pour baliser le terrain. Qu’ils soient mensongers importe peu, il faut survivre dans les sondages. La culture est contre. Tout contre. Elle dit autre chose. Ecoutez l’histoire…
9000 personnes peuvent s’y entasser… mais aucun concert musical d’envergure avant fin 2021. Deux poids, deux mesures. Sauf que chez soi, on peut éviter cela et écouter des musiques appliquées à la vérité d’un monde qui pense changement après le constat d’un état des lieux. Qui joue autre chose. Par exemple, piochée dans les dernières sorties : Spiritual Jazz 11, Steeplechase, QALF de Damso, SIGN d’Autechre et Act II - The Patents of Nobility (The Turn) de Jay Electronica.
Sur le Spiritual Jazz 11 du label Jazzman consacré au label Steeple Chase, on trouve des musicos qui ouvrent des pistes vers d’autres musiques, en partant du jazz et en y intégrant des apports extérieurs. On note au passage que ceux-ci profitent de leur passage sur place pour enregistrer à Copenhague, quand ils n’y vivent pas tout simplement pour échapper à la condition qui leur est faite chez eux. Ici, le COVID a bon dos pour lézarder la culture, mais le racisme n’en est qu’une autre et ancienne facette. Nils Winther a commencé par enregistrer des session live au Cafe Montmarte et, sur l’insistance de Jackie McLean a fini par monter sonn label en 1972 afin de documenter le jazz européen avec toute son originalité et son style distinctifs. En mettant l'accent sur l'enregistrement d'artistes américains de premier plan qui ont choisi la vie d'expatrié en Europe, Steeplechase a été le premier à documenter les sons des grands artistes tels qu'ils se sont développés en exil. Avec des morceaux de Billy Gault, Johnny Dyani, Khan Jamal, et d’autres de Jackie McLean et Mary Lou Williams. Bien, rare et encore mieux que cela …
Et l’ancien protégé de Booba, Bruxellois d’adoption Damso dit aujourd’hui de son album ceci, alors qu’il a organisé une pré-sortie d’icelui à Kinshasa où il est né : Donner de la visibilité à des gens qui n’ont pas, donner de l’espoir à des gens qui n’en ont plus pour faire rêver des gens qui ne dorment plus… un peu à la manière des Supremes de Diana Ross avec Dancin in the Streets, bande-son des manifs des droits civiques des 60’s, appliqué à l’Afrique et donc chanté en plusieurs langues africaines pour dire la situation là-bas/ici ( asphyxie… comme disait Higelin autrefois.) Musicalement, on navigue entre électro et rumba congolaise pour dire les embrouilles, l’exil, le vécu et la notoriété assumée. Ecoutez bien, ça fait un pont entre deux continents - et ça le fait bien !
Après des expériences machiniques ( Twich Stream) qui duraient dernièrement des heures, Autechre revient à des formats courts avec SIGN. Sur cet album, Sean Booth et Rob Brown ont appliqué leur méthodologie à la synthèse mélodique plutôt qu'à l'approche quasi industrielle. Le résultat est un album quelque peu insaisissable, car toutes les mélodies ressemblent davantage à des quasi-mélodies (almostolodies...) en constante évolution. C'est de l'électronique progressive dans sa façon d'atteindre un point idéal entre le plaisir ambiant rêveur et une sorte de structure musicale. Ce disque a la capacité de fixer l'esprit d'une manière finalement agréable et accueillante, en oscillant de tek à ambient. Entre Tri Repetitae et Amber. Immersion conseillée ! Ces gens qui se posent en découvreurs de possibles sont toujours à la page depuis 30 ans. D’ici un an ou deux qui se souviendra de Marlene Schiappa ?
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Avec Act II - The Patents of Nobility (The Turn) de Jay Electronica c’est un serpent de mer du hip-hop américain qui voit enfin le jour - et encore - devant sortir à Noël, il arrive en avance pour cause de fuite sur les réseaux depuis 10 jours. Prévu depuis treize ans, avec un track-listing connu, l’album sort enfin. Act II est en préparation depuis que Jay Electronica a sorti sa première mixtape, Act I : Eternal Sunshine (The Pledge), sur MySpace en 2007. Act I est sorti en juillet de la même année et le rappeur avait d'abord déclaré qu'Act II sortirait avant Noël. L'album semblait à nouveau imminent en 2010, après qu'Electronica ait signé avec le label Roc Nation de Jay-Z, puis en 2012 après qu'il ait partagé la tracklist, mais le projet ne s'était jamais concrétisé, car il devait trouver deux featuring et surtout assumer le fait qu’il ne pouvait dire tout ce qu’il avait sur le cœur. Raison de son déménagement à Londres et d’un certain mutisme durable.
Et c’est peu de dire que Act II s’avère majeur dans son approche à facettes et ses emprunts autant à la chanson française de Gainsbourg, en convoquant et Serge et Charlotte, qu’au rock progressif de King Crimson, à Bowie, voire Riuychi Sakmoto en passant par des emprunts de voix à Reagan et Elijah Muhamed et la participation de Jay Z, de la musique japonaise et diverses formes de hip hop. On y retrouve le flow tranquille mais ininterrompu de Jay qui, dans l’affolement de la sortie pirate n’a pas eu le temps de terminer deux titres : Rough Love et Night of the Roundtable. Le premier devait voir figurer Kanye West en sparring partner et cela ne s’est jamais fait et on entend un long instru qui sert de lien en l’absence du Yezu ; quant au second titre, c’est juste une ébauche qui finit cut … Mais malgré ces défauts, Jay arrache au forceps le statut de classique instantané, à satonner les formes connues pour leur faire dire autre chose; de la pop vers le hip-hop, des discours politiques et mystiques retournées pour se reformuler à son approche un peu mystique - mais qui fait sens à ne jamais l’affilier à quiconque. Très très bien… Pitchfork, lui décernait 8,7 / 10 ce matin-même. Le boulot de Jay Electronica, à mettre en avant une culture noire américaine au-delà du ghetto imposé, travaille dans la même direction que la série réjouissante du moment Lovecraft Country.
Et puisqu’on parle de noir et blanc, c’est la vision qu’offrent communément Jean Castex et Gerald Darmanin, deux personnages qui sont passés directement des années 50 à 2020, sans jamais découvrir le reste. Antoine disait déjà dans ses Elucubrations : “ Oh, Yeah! Si je porte des chemises à fleurs, C'est que je suis en avance de deux ou trois longueurs, Ce n'est qu'une question de saison, les vôtres n'ont encore
que des boutons… “ A les voir, on en est toujours là. Comment pourrait-on les prendre au sérieux ?
Jean-Pierre Simard le 14/10/20
V.A. - Spiritual Jazz 11, Steeplechase - Jazzman records
Damso - QALF - Trente-quatre Centimes records
Autechre - SIGN - WARP
Jay Electronica - Act II - The Patents of Nobility (The Turn) - Tidal