L'AUTRE QUOTIDIEN

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Les noir et blanc charbonneux de Tommaso Protti dans l'Amazônia exsangue

Le photojournaliste italien Tommaso Protti, accompagné du journaliste britannique Sam Cowie, a sillonné l’Amazonie brésilienne pour réaliser ce reportage. Du Maranhão à l’est, à Rondônia à l’ouest, en passant par les États du Pará et de l’Amazonas, ils dressent le portrait d’une région où les crises sociales et humanitaires se superposent à la destruction inexorable de la forêt tropicale.

Araribóia, Maranhão, 2019 © Tommaso Protti / Pour la Fondation Carmignac.
Des gardes forestiers Guajajara en patrouille dans la réserve d’Araribóia malmènent un Indigène suspecté de collaborer avec des exploitants forestiers illégaux.

Le projet mené par Tommaso Protti, lauréat du 10e Prix Carmignac du Photojournalisme, va au-delà du photoreportage. Dans la série financée par la fondation, il documente la déforestation de l’Amazonie en témoignant de la crise environnementale, humanitaire et sociale résultant de cette catastrophe. Sa vision entre en résonance avec l’actualité et les préoccupations sur l’avenir de notre planète et de son écosystème. En filigrane, la politique désastreuse du président fasciste Bolsonaro, comme une ombre supplémentaire au tableau… 

Araribóia, Maranhão, 2019 © Tommaso Protti / Pour la Fondation Carmignac

« Je souhaitais illustrer les transformations sociales en dénonçant le massacre et la destruction qui ont actuellement lieu dans la région. Ces différentes formes de violence sont les conséquences de changements au niveau du marché international et celles d’une augmentation exponentielle de la consommation à l’échelle mondiale, de la cocaïne à la viande de boeuf. Les scientifiques s’accordent à dire que la forêt est en passe d’atteindre un point de non-retour : la déforestation, alimentée par le commerce illégal du bois, l’accaparement des terres, l’expansion agricole, le développement de projets privés et étatiques et l’extraction de ressources en sont autant de causes. Je pense qu’il est important de sensibiliser le public sur ce sujet et de s’interroger- sur ce qui est en train de se passer. » Tommaso Protti

Jenipapo dos Vieiras, Maranhão, 2019 © Tommaso Protti / Pour la Fondation Carmignac
Paulo Paulino (25 ans), dit Lobo Mau («méchant loup»), membre de la garde forestière Guajajara, a été tué lors d’une embuscade dans la réserve indigène d’Araribóia, dans l’État du Maranhão. L’économie de plusieurs villes de la région repose essentiellement sur le bois de contrebande, et les scieries illégales fournissent des emplois à des travailleurs pauvres et non quali és. Les militants confrontés aux intérêts de l’exploitation forestière sont régulièrement harcelés, menacés et même assassinés.

A parier, comme le BAL, sur la puissance de la photographie documentaire, la M.E.P. retrouve un public perdu depuis des lustres, celui plus intéressé par une démarche contemporaine en lien avec le monde que l”exhibition de gloires du passé. Le travail muséal en sort grandi et y retrouve des couleurs inusitées, même s’il s’agit ici de noir et blanc charbonneux pour dire la dévastation et les tueries en cours et la mise en coupe réglée du poumon de la planète par des trafiquants de toutes sortes ; ces sans foi ni loi qui agissent avec l’aval des autorités locales, quand elles ne les dirigent pas. On connaissait les déclarations de Bolsonaro sur “l’obligation d‘exploiter les ressources naturelles à tout prix”, on en voit ici le résultat pour l’année qui vient de passer. C’est aussi excrémentiel dans le propos du pantin au pouvoir que saignant et impitoyable dans la vision qui en surgit. Et tout cela avec la distance, la justesse du travail au long cours et - bien évidemment la talent des protagonistes. Grand talent !

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Dead of Night Orville Peck

« Avec le photojournaliste Tommaso Protti, nous embarquons pour un voyage au coeur de la crise. À travers son travail, il porte un regard sans préjugés sur les paysages et modes de vie variés de l’une des dernières grandes forêts tropicales de la planète. (...) Nous faisons connaissance avec les activistes indigènes luttant pour la protection de la forêt, en ayant les générations futures à l’esprit. Nous sommes témoins de la destruction engendrée par le traffic du bois, l’expropriation et l’exploitation des richesses de la région à des fins peu éthiques. Ses photographies nous emmènent dans les métropoles de l’Amazonie où les cartels s’affrontent pour le contrôle du marché de la cocaïne, et où les Vénézuéliens fuyant les conflits de leur pays vivent dans des camps de fortune. Nous rencontrons des paysans activistes risquant leur vie en s’opposant à l’expansion agressive des frontières agricoles. Nous sommes amenés à prendre la mesure des dégâts infligés aux communautés traditionnelles dépendant des rivières, conséquence de mégaprojets étatiques tels que des barrages hydroélectriques. (...) Enfin, ce projet offre un aperçu de la vie quotidienne dans l’une des régions les plus extraordinaires de la planète : ses habitants flirtent, font la fête, ont leurs croyances, et tentent de profiter de la vie, comme n’importe où ailleurs. »

Sam Cowie

Pau d’Arco, Pará, 2019© Tommaso Protti / Pour la Fondation Carmignac
Un paysan sans terre dresse un panneau revendiquant l’occupation de la ferme de Santa Lúcia, théâtre d’un véritable massacre en mai 2017 : dix activistes y ont été abattus par la police. Dans l’Amazonie brésilienne, il est courant que des propriétaires terriens paient des policiers hors service pour des exécutions extrajudiciaires ou des expulsions de paysans. Aujourd’hui, la ferme est occupée par 197 familles de la LCP.

Plus que jamais, contre l’adversité lutter, quoiqu’il en coûte, pour simplement exister debout. Il y a eu A l’Est d’Eden, l’Eden et après. Aujourd’hui, c’est après, mais ça n’empêche toujours pas de rêver pour vivre.

Jean-Pierre Simard

Tommaso Protti - Amazônia

TP09 Altamira, Pará, 2019 © Tommaso Protti / Pour la Fondation Carmignac
Ces arbres sont morts lors de l’ouverture du barrage hydroélectrique de Belo Monte, dont les eaux ont inondé 400 km2 de forêt. Le projet, critiqué dès sa construction par des organisations écologiques et des groupes de la société civile, est toujours controversé : sa viabilité est sérieusement remise en cause et l’attribution des marchés entachée de corruption.

TP08 Kayapó, Pará, 2019 © Tommaso Protti / Pour la Fondation Carmignac
Des enfants Kayapó jouent derrière une chute d’eau dans le village Kuben-Kran Ken. Avec une superficie de 3,2 millions d’hectares de forêts et de broussailles, abritant de nombreuses espèces menacées, le territoire indigènes de Kayapó est la plus grande zone tropicale protégée au monde. Il constitue une barrière majeure à la déforestation qui progresse depuis le sud.