L'AUTRE QUOTIDIEN

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00I00, le retour des stars japonaises de l'impro avec Nijimusi

OOIOO a créé dès 1997 son propre langage musical. Sous la direction de YoshimiO, également membre fondateur de Boredoms, le groupe a enregistré 8 albums qui ont subverti profondément et la pop et la musique expérimentale. A tel point que c’en est un bonheur, que le dernier envoi, “Nijimusi”, confirme.

YoshimiO a commencé sa carrière musicale en 1986  dans UFO et Die avant de rejoindre les très noise Boredoms. Ses performances de batterie explosives ont captivés le public et même inspirés Wayne Coyne à intituler un célèbre album de Flaming Lips en son honneur, Yoshimi Battles. Leurs concerts sont transcendants, à passer sans encombre d’élans bruitistes au punk, avec incursions dans le jazz et la musique new-age, sous forme d'expérimentation-performance ! Elles seront le 4/04/2020 à Lafayette Anticipations. Nous aussi !

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Bien malin qui saurait les décrire sans multiplier ad nauseam les étiquettes (japanoise-psychédelia-free-tribal-jazz-ésotérico-truc ?). Car si le groupe n’a cessé d’évoluer, entre les punk-noiseries bizarres d’OOIOO (1997) et le grand fourre-tout homogène d’Armonico Ewa (2009), qui faisait la synthèse de tout ce qui précédait, il a su conserver une identité sonore inégalée : expérimental et jouisseur, le son OOIOO repose sur une rythmique orgiaque, des riffs tranchants qu’on n’a jamais entendus ailleurs, et sur les incantations animistes de Yoshimi, dont la voix tonitruante oscille entre des inflexions à la Nina Hagen et le timbre hystérique d’un manganime. La discographie d’OOIOO est quasi un sans faute., dont seul le psychédélisme new age de Gold and Green (2000) pourrait laisser vaguement sur sa faim. Après Kila, Kila, Kila en 2004, présenté comme la fusion entre OOIOO et la musique traditionnelle indonésienne. Yoshimi, indécrottable ethno-mélomane (elle se passionne entre autres pour la musique des Aïnous, peuple aborigène du nord du Japon), utilise le gamelan, cet ensemble de percussions traditionnel en provenance de Java, qui se caractérise par sa résonance envoûtante, quelque part entre le gong et le xylophone. Avec Gamel, OOIOO signait son disque le plus accessible et le plus apaisé. Il n’en est pas moins inouï, ce qui est d’autant plus paradoxal qu’une partie de l’album reprend certains titres d’Armonico Ewa (le riff de guitare stéréophonique d’Udah Ha, les chœurs d’Hewa Hewa) ou du génialissime Taiga avec Uma

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Des chœurs aux harmonies célestes se mêlent aux cloches du gamelan avant que le tempo ne s’accélère, et que les velléités mystiques ne cèdent leur place à un free-rock ébouriffant qu’OOIOO maîtrise comme personne : explosion de batterie funkoïde, couinements synthétiques, riffs distordus de guitare aux teintes jazz-prog, chant haut perché… Tout pour plaire aux curieux des musiques de traverse.

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Et puis, fin décembre est tombé Nijimusi, qui nous occupe et, qui arrive après longue interruption due au décès de la guitariste Kyoko. Avec le line-up actuel - composé de YoshimiO et Kayan à la guitare, Aya à la basse et Mishina à la batterie - le groupe est déterminé à canaliser ses explorations à travers un ensemble plus conventionnel. Ici, OOIOO a ramené les guitares au premier plan, ainsi qu'une saine tranche de prog, de math rock et de free jazz. Alors que la première piste de l’album est une anomalie par rapport au reste - c'est juste un peu moins d'une minute de hurlement en roue libre et de chaos instrumental, rappelant le projet de John Zorn Naked City, le reste de l'album contient de nombreuses opportunités d'expérimenter sur des titres longs. Et ça matraque plus sévère qu’un Castaner sortant de boîte … 

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Sur Nijimusi, la batterie à tir rapide et la guitare au rasoir se succèdent en un clin d'œil sur les étranges récitations de YoshimiO au milieu des cris et de la distorsion. Un effet de clavier stroboscopique se déploie, comme une transmission psychédélique de l'espace. Cela suffirait à propulser la chanson, mais le groupe passe brusquement à une section plus funky et plus aérée, comme s'il s'ennuyait à rouler sur une seule avenue musicale après quelques minutes. Il y a peu de temps morts ici. Le jazz/rock de Jibun, axé sur les guitares, voit la batterie agile de Mishina passer par plusieurs phases, tandis que les guitares passent de tons clairs à des effets criards, des éclats de voix au moindre mouvement. Beaucoup de chansons semblent exister comme des suites à plusieurs parties, bien qu'elles ne soient pas indexées ou titrées de cette façon - c'est comme si OOIOO voulait que l'auditeur soit agréablement surpris par tous les zigzags stylistiques et regagner le temps perdu de ces dernières années sans album… 

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La pièce maîtresse de Nijmusi est le morceau de 11 minutes et ses continuels changements, au titre très zarbi : Walk for '345' Minutes, While Saying 'Ah Yeah ! avec un livre de montagne dans une main, jusqu'à ce qu'une pluie de lumière tombe (on dirait un titre de God Bless You  Black Emperor); un morceau qui offre au groupe tout l’espace nécessaire pour développer leur son étrange, unique et sombre. Les premières minutes sont lentes et divaguantes, mais finissent par accumuler vitesse et intensité pour se fondre en un hybride punk/jazz caféiné, continuant à se transformer et à changer de forme jusqu'à ce qu'il s'effondre dans une mer de bruit blanc. Ultime… Ici, OOIOO rétabli sa réputation de groupe superbement talentueux, aussi déroutant que troublant. L’esprit innovateur et original perdure sauvagement et offre de quoi espérer à tous ceux qui ne supportent plus ni la pop ni le rock. D’après certains, ce groupe est le meilleur du monde - après écoute des albums, aucune raison de les détromper.

Bognor Regis, le 17/01/2020
00I00 – Nijimusi – Thrill Jockey