Retour de flamme de Richard D. James, Aphex Twin en son et lumière - imparable
Pour ceux qui, comme moi, sont tombés dans la techno au début des années 90, Aphex Twin demeure un repère immuable. Pour avoir fait bouger le son comme nul autre d’abord. Pour avoir sorti certains des clips les plus sublimes de l’histoire, ensuite, dont “Windowlicker” et enfin, pour être revenu là où personne ne l’attendait plus avec encore de nouveaux sons et frissons. Son passage à Rock en Seine 2019 a été plus qu’un événement, une révélation. Retour à froid.
Instruisons un peu la légende du Mozart anglais de la techno. Pour commencer. Adolescent d’un bled perdu des Cornouailles, le petit Richard ne s’intéresse qu’à la musique et à la programmation et commence à composer à 11 ans sur les premiers PC du commerce, genre Sinclair ZX, etc. Hyperactif, il ne conçoit pas le développement de sa musique en dehors de celui de l’électronique et ses études au Cornwall College de 1988 à 1990 l’y voient décrocher un diplôme national d'ingénieur. Mais à choisir entre études à Londres et carrière de musicien, on sait bien ce qui est advenu…
Le parcours des années 90 est assez fulgurant, à multiplier les contrats avec les labels prestigieux ( R&S, WARP) et monter le sien Rephlex, avec Grant Wilson-Claridge ; le voyant passer de l’ambient à la techno hardcore via la jungle sous divers pseudos aussi hermétiques les uns que les autres, avec parmi les plus connus : de Polygon Window à Analogue Bubblebath, AFX, Caustic Window, voire The Tuss. Mais de Selected Ambient Works I & 2 à Syro ( Grammy Award de la meilleure musique électronique de 2014) on trouve une quête continuelle du son qui le voit tour à tour demander une version orchestrale de Icct Hedral à Phil Glass, reformuler Pendulum une œuvre de et avec Steve Reich, ou échanger des passes d’armes avec son idole Stockhausen : « J'ai écouté attentivement le morceau Aphex Twin de Richard James (sic) : je pense qu'il serait très utile qu'il écoute mon travail Song Of The Youth, qui est une musique électronique, avec la voix d'un jeune garçon chantant par-dessus lui-même. Parce qu’il arrêterait alors immédiatement avec toutes ces répétitions post-africaines, qu’il jouerait des tempos et des rythmes changeants, et qu’il ne se permettrait pas de répéter le même rythme si celui-ci variait un minimum et s'il n'avait pas de direction dans sa séquence de variations. » Et James, de répondre du tac au tac : « Je pense qu'il devrait écouter quelques-uns de mes titres, comme Digeridoo, puis il cesserait de créer des patterns abstraits et aléatoires sur lesquels vous ne pouvez pas danser. »
L’autre point fort d’Aphex Twin est de mettre en avant ses propres images pour diffuser sa musique, à l’écart des circuits des majors qu’il trouve détestable. De son logo à sa tête, jusqu’aux images synthétiques de 2019, de multiples fois remodelés et déstructurés, les visuels sont tout sauf attrayants, toujours à plonger le spectateur/auditeur dans un vrai malaise sociétal; sa techno ne vit clairement pas au pays des bisounours et n’a que faire du politiquement correct imposé souvent ailleurs. Le son est puissant et le show montre ce que peut être la techno envisagé comme un art total ( comme pleurait Nietzsche au siècle dernier pour l’opéra à propos de Wagner) une vraie immersion qui laisse des traces et secoue en profondeur. L’humour en plus , comme on a pu le voir dans la seconde partie du show de Rock en Seine où avec un V-Jay il a balancé une heure et demie de lave bouillants sur les spectateurs ébahis. Certains au bord de la fuite, d’autres en pleine extase hardcore, une boule au ventre de manger autant d’infra-basses avec un bonheur constant. En attendant les promesses d’un show de Ritchie Hawtin qui doit bientôt débarquer à Paris, c’est après les bons concerts bombardés d’extraits de film de Jeff Mills ce qui se rapproche le plus d’une extase païenne et permet d’oublier un temps le monde propulsé par Steve Banner pour les enfants Le Pen et ou Macron pour le MEDEF. Vous me suivez là ?
Jean-Pierre Simard le 6/09/19