“L'héritage des 500.000”, ou comment Toshiro Mifune a fait d’une chasse au trésor un grand film contre le carnage des guerres impérialistes
Sur l’argument d’un trésor nippon abandonné dans le Pacifique - et donc, forcément à retrouver, Toshiro Mifune la star de Kurosawa (et du Japon réunis !) passe à la réalisation- et cela sera son seul essai. En forme de vraie réussite. Quand même ! Une bande originale électronique peu commune à l’époque et une restauration HD en font un must de la rentrée…
L’Héritage des 500 000 fut un succès public au Japon lors de sa sortie mais demeura inédit en France, où il se voit distribué pour la première fois cette année. A l’origine de ce film, se trouve la création en 1962 par Mifune de sa propre société de production, Mifune Productions Co. Ltd. Pour cette première et unique réalisation, Mifune s’entoure de techniciens connus, essentiellement d’habituels collaborateurs de Kurosawa, tels son scénariste Ryuzo Kikushima, son directeur de la photographie Takao Saito ou le musicien Masaru Sato. Kurosawa lui-même mettra la main à la pâte pour aider au montage, et cet assemblage de talents produit une réussite incontestable, sur la forme comme sur le fond.
L’Héritage des 500 000 s’inspire d’un fait authentique, la disparition de l’essentiel des trésors de guerre japonais à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. A partir de ce fait troublant, Ryuzo Kikushima a imaginé le scénario d’un film d’aventure trépidant, centré sur une chasse au trésor qui n’est pas sans évoquer Le Trésor de la Sierra Madre dans sa manière de décrire la corruption des hommes par l’attrait de l’or. Le film s’ouvre sur une reconstitution de l’intervention japonaise aux Philippines durant la Seconde Guerre mondiale et notamment des images de la défaite nippone et de dizaines de cadavres. Un type de plan assez rare dans le cinéma japonais, qui évoque plus souvent souvent le traumatisme nucléaire ou l’évolution de la culture japonaise sous l’influence de la présence américaine, mais se retourne peu sur la défaite en elle-même, et encore moins sur l’inutilité de l’engagement du pays. D’où l’intérêt de ce fameux héritage qui aborde frontalement ce sujet, mettant dans la bouche de son personnage principal des paroles audacieuses parlant de la vacuité des milliers de ces soldats morts. Derrière la caméra, Mifune met également en images quelques plans chocs, dont celui qui nous montre des dizaines de squelettes reposant depuis des années dans une grotte. Sans prendre le pas sur l’aventure et les péripéties du récit, ce sous-texte donne une profondeur intéressante et audacieuse au film. Hormis cette réflexion sur la participation du Japon à la guerre, L’Héritage des 500 000 se construit comme un récit d’aventure classique et efficace, multipliant les épreuves à affronter pour le groupe de chercheurs de trésor, et les retournements de situation, le pouvoir changeant régulièrement de main.
Ce qui valorise le récit (plutôt classique) c’est son montage ultra-dynamisme. On peut imaginer que l’expérience apportée par Akira Kurosawa a été bénéfique au film, qui est surtout intervenu en début de processus, en demandant à Mifune de tourner de nouvelles scènes. Le montage de L’Héritage des 500 000 étant mené de manière bien plus rapide que celui de la plupart des films japonais contemporains.
Pour son premier et seul film en tant que réalisateur, Toshirô Mifune s’octroie le rôle principal, celui de Takeichi Matsuo, un vétéran de la Seconde Guerre mondiale forcé par Mitsura Gunji, un homme d’affaires cupide, à retourner sur ses anciens champs de bataille pour y trouver un trésor de guerre qu’il a enterré durant la débâcle nippone. Incarné par le formidable Tatsuya Nakadai, l’autre acteur star du cinéma japonais qui effectue un sympathique clin d’œil dans le film de son concurrent au box-office, Gunji adjoint à Matsuo quatre hommes pour l’accompagner et le surveiller dans cette quête. Attirés par l’argent ou simplement par l’aventure, ils sont tous les quatre volontaires pour la mission, contrairement à Matsuo. Ce qui retient Matsuo, ce n’est pas seulement son peu d’appétence pour le gain ou son goût pour la petite vie sédentaire qu’il s’est désormais construite et qui nous est présentée en début de film, mais aussi et surtout sa peur de retourner vers l’enfer de la guerre qu’il a connu. Des cauchemars récurrents, on vie mieux sans…
Tout est parfaitement réussi dans cette première réalisation de Toshirô Mifune, et l'on comprend aisément le succès du film à sa sortie. On ne peut que regretter que Mifune n’ait pas persévéré dans cette voie, même si ça carrière d’acteur suffit déjà amplement à nous combler, et il faut se réjouir de pouvoir enfin découvrir en France une réussite aussi marquante.
JP Simard avec son dossier de presse le 2/09/19
L’Héritage des 500 000 de Toshiro Mifune - distribution Carlotta Film