L'AUTRE QUOTIDIEN

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La migraine rouge de Michel Embarek en 12 mesures et un violon

Clarksdale, Mississipi

A traîner son blues au cours d’une retraite qui n’en finit pas de s’éterniser dans la solitude et les migraines, le héros du roman d’Embarek embarque sa fille sur la route du blues, un voyage qui part sous les auspices d’une mémorial à la musique et se barre rapidos en couille, pour erreur d’aiguillage. C’est Une flèche dans la tête, et c’est très bien.

Robert Crumb, série bluesmen

Comme à son habitude, l’ex-rock critic de Best et fan de Gene Vincent, journaliste localier qui a souvent déterré des affaires - comme l’actuel gouvernement nous en sert à son profit tous les jours- à grand coup de double discours - a monté un hypothétique personnage ex-membre des R.G, du secteur de la presse, autrefois habilité à payer des coups pour connaître le dessous des rédactions et les diverses exactions de ses membres encartés.

Mort d’ennui dans son boulot, comme dans sa vie de famille, il a longtemps vécu une double vie avec une forcément belle espionne russe et forcément passionnée. Mais la chute du mur de Berlin en 89 a fait sombrer leur histoire, le laissant solitaire et démuni, incapable de se reprendre. Et la migraine reine l’a transporté sur la route du blues où il espérait, en y voyageant avec sa fille, abandonnée comme sa mère des années auparavant, retrouver un semblant de lien, une famille avec laquelle quelque peu partager. Mais à cela, il ne parviendra jamais, le secret trop gros à partager, la distance, comme étalon du chemin à refaire, la migraine comme rythme immuable : un riff, douze mesures et une route à la recherche de soi, comme substitut. Forcément.

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On va y visiter des lieux de mémoire qui cachent à chaque fois d’autres histoires, plus drôles ou plus tristes, celle de bluesmen qui en ont chié longtemps et se sont vu enterrés à la va-vite à d’autres endroits que ceux que le folklore et le circuit du blues a retenu. Et l’histoire de se déployer de rencontre/retrouvaille à la Nouvelle Orléans jusqu’à la défection de sa fille qui rentrera chez elle au Canada , sans avoir pu ni comprendre ni apprécier ce père mutique, muré qu’il est dans son secret inavouable… 

Tout ici raconte le blues au quotidien, en décalquant la misère des années 20/30 et la plaquant sans effort sur les restes d’une vie perdue qui va son chemin jusqu’à la coda au bord du Mississippi. Une coda qu’on taira pour ne pas vous enlever le plaisir de la découvrir au bout dune grosse centaine de pages.

Alors, on dira pour finir - et élever le débat - que le journalisme rock qui se reformule 20/30 ans après a tous les atours du roman noir, du Garnier qui enquêtait sur David Goodis en filant le virus du polar à une génération de lecteurs de Rock & Folk, en passant par les ex-militants trotskistes devenus auteurs de polar, comme Jean-François VIlar (le modèle d’Embarek) pour dire l’Histoire autrement - que le passé mérite toujours son explication et que l’oublier c’est devenir un con ou un salaud. Bonne lecture !

Jean-Pierre Simard


Michel Embarek - Une flèche dans la tête - éditions Joëlle Losfeld