L'AUTRE QUOTIDIEN

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Claire Trotignon joue du piano (à dessein/dessin) pour l'Antenne culturelle dans le 19e

Chaque mois, la vitrine de l’Antenne (l’espace culturel et pédagogique du plateau) accueille un nouveau projet artistique pensé en lien avec les expositions du Plateau, la collection du Frac Ile-de-France et ses actions pédagogiques. Ce mois-ci, c’est Claire Trotignon qui s’y colle, avant d’exposer à Drawing Now.

Claire Trotignon, Transportable issue Collage of engraving - 40 x 50 cm - 2018
Art is hope Brussels 2018 - Private collection

Claire Trotignon compose des collages minutieux, à l’aide de fragments découpés dans des gravures ou dans des cartes postales anciennes. Tenant à la fois du bricolage intuitif et du travail d’orfèvre, ses territoires imaginaires n’obéissent pas à une scénographie ou à une narration linéaires : des architectures pré-renaissantes y côtoient des immeubles contemporains, surplombent parfois de petits îlots de paysage ou encore prennent la forme de particules éparses, en apesanteur sur la matrice blanche du papier.

Claire Trotignon Infini de taille moyenne Collage of engraving 30 x 40 cm - 2018 - Private collection

Il y a d’ailleurs une fragilité paradoxale dans les travaux de l’artiste : une de ses premières séries, Sculptures effervescentes, mettait déjà en scène de petits édifices dont quelques gouttes d’acide versées venaient transformer la structure ; dans ses dessins récents, les architectures monumentales semblent à la fois très récentes et très anciennes, hésitant entre le prototype abstrait et la ruine désertée avant d’avoir jamais été habitée. [...]

Claire Trotignon Hyperpianos Drawing, collage of engraving 100 x 140 cm diptyque
- 2018 - Private collection

Les topologies de Claire Trotignon jouent ainsi sur des paramètres relativistes, faits de stratégies d’espacement, de décalage, d’inversions. L’artiste s’approprie et hybride tout ce qui peut potentiellement entrer dans sa matrice déconstructrice : des scènes d’émeutes urbaines traitées comme des motifs de toiles de Jouy (série Toiles de Jouy), des plateaux de jeu devenus des paysages conceptuels (Leurs Surfaces reposantes), des paravents qui rappellent à la fois le retable et l’art japonais sur lesquels s’inscrivent des explosions (Retable) ; on pourrait songer à du « high and low », mais ce n’est pas en dernière instance la connotation culturelle ou sociale qui intéresse ici Claire Trotignon, ni la logique binaire d’un jeu d’opposition : il s’agit plutôt de mettre en évidence le mécanisme de transformation interne du signe, par lequel le collage supprime les classifications esthétiques pour former de nouveaux blocs d’éléments, renversant au passage les polarités signifiantes, et par là- même les rapports d’identité et de hiérarchisation, non seulement culturelles, mais aussi structurelles, ontologique. [...]

Comme sur une scène de théâtre où une représentation succède à une autre, rien ici ne semble voué à perdurer : nous sommes devant l’image arrêtée de ce qui n’est qu’un instant dans le devenir des configurations virtuelles. Pour autant, il n’y a aucune mélancolie romantique dans le travail de Claire Trotignon ; bien au contraire, l’absence de fixité est la condition nécessaire pour que la conflagration libre des signes puisse donner naissance à de nouveaux mondes. Ses compositions ne sont ni purement dessin, ni sculpture, ni architecture réelle, ni non plus paysage ; elles articulent un nouvel espace-temps « situé », opérant entre le volume et la surface, l’original et la copie, et fondé en dernier lieu sur une corrélation de l’espace et du temps. [...]

Les collages de Claire Trotignon seraient ainsi comme les synopsis possibles d’une absence, les dessins vectoriels d’une utopie sur laquelle aucun Soleil de la Raison ne brilla ou ne brillera jamais, et dont les ruines n’eurent pas non plus de commencement. Sans origine ni destination, rien n’a lieu en eux que le lieu.

Extraits de «La Matrice et le lieu, synopsis possibles d’une topologie fragmentaire.” écrit par Victor Mazière, 2015

(Pour la vitrine du frac Ile-de-France, l’artiste fait une proposition in situ, Primo Piano and the left over. Une installation visible comme un dessin dans l’espace, entre vestiges figés dans le temps et composition spatiale. Comme d’un fait historique, il résulte alors de cette « partition » une interprétation aléatoire.)

Léonore Infini le 6/03/09

Claire Trotignon The methodmath escape Drawing, collage of engraving 30 x 40 cm
- 2018 - Private collection

Claire Trotignon - Primo Piano and the left over  6 → 31 mars 2019
L’antenne culturelle (située à 50m du plateau), 22 cours du 7e art, 75019 Paris