Mi, la, si - l'art de la fugue (des hommes) en mode rocker
Fugue contemporaine autour de la quête d’un père rocker.
Chère lectrice, cher lecteur, si tu veux t’endormir avec les poules, n’ouvre pas ce roman à la tombée de la nuit car Jane, la jeune héroïne solaire du dernier roman d’Erwan Larher, paru en août 2019 chez Quidam éditeur ne te laissera en aucun cas la quitter avant la dernière page.
À vingt-et-un ans, hyper connectée aux réseaux et bourrée d’énergie, s’exprimant sans filtre, Jane est une guerrière contemporaine, seule et libre depuis la disparition accidentelle de sa mère, vivant de petits boulots et larcins, une héroïne blindée et tendre sous ses pics, formidablement attachante.
Pourtant ce qui la ronge est la culpabilité de son père disparu dans la nature avant son quatrième anniversaire. De ce père disparu elle ne sait rien, si ce n’est ce mot – musicien – lâché un jour par sa mère, par inadvertance. Une envie tenace et des indices apparus, eux aussi, par inadvertance l’entraînent sur les traces de ce père musicien, en posant et reposant cette question lancinante des raisons de sa disparition.
En résumé, j’ai vingt et un ans et je n’ai plus de mère et j’ai à peine connu mon père, si tant est que ce fut lui le mec qui me faisait jouer de temps en temps sur ses genoux et me lisait des histoires une clope au bec – je me souviens davantage de son odeur de tabac que de son visage.
En suivant la trace des deux membres disparus d’un groupe de rock des années 1980, en intégrant joyeusement les personnages de son précédent roman « Marguerite n’aime pas ses fesses », « Pourquoi les hommes fuient » est parsemé d’indices et de correspondances sur les traces du père, composant sur fond de décomposition sociale un récit joueur qui a le sel piquant de l’enquête.
Jane, un guitariste punk qui a raté sa vie et une pop star issus d’un même groupe formé dans les années 1980, un ermite retiré du monde, un écrivain consacré, vieux beau qui « biche quand on le reconnaît » et « culbute ses groupies en cachette de sa femme » : Erwan Larher, qui revient à la fiction après « Le livre que je ne voulais pas écrire », nous offre avec ce roman une très belle fugue, où l’entrelacement et le développement successif de chacune des voix, autour de la personnalité explosive de Jane, mouche du coche, apporte subtilement des fragments pluriels de réponse à cette question mystérieuse : « Pourquoi les hommes fuient ? »
Pendant que l’écrivain est aux toilettes, Jane checke ses profils. Il l’a saoulée avec ses remarques moisies, genre c’est malpoli de garder son portable sur la table, encore plus de répondre à ses messages. Invite une vieille la prochaine fois, Balzac ! Trois afters possibles, dont un mortel dans un squat d’artistes. Il y aura des substances et des potes zicos. Elle tape le nom de l’Ecrivain. Aucun résultat. Bizarre. Elle l’a vu signer masse de bouquins au Salon du livre, aujourd’hui. Elle n’a pas dû orthographier son nom correctement. Elle regarde autour d’elle. Ils sont tous morts, dans ce restau. Assis bien droits, ils chuchotent, du moins ceux qui échangent, les autres clappent sans rien se dire, même des couples – plutôt crever ! Elle a envie de se lever et de hurler, pour voir, ou de montrer ses seins.
Face à la prédation économique et sexuelle, à la précarité, à la prostitution adolescente et aux petits boulots sans issue, Jane oppose moins sa rage, comme l’héroïne de « Désintégration » d’Emmanuelle Richard, que son désir forcené de liberté, malgré la culpabilité qui lui colle à la peau comme la poisse. L’héroïne du roman d’Erwan Larher et sa langue fleurie émaillée d’argot, jamais artificielle, l’agencement joueur de l’enquête et la partition des voix transforment ce roman en un moment de lecture jubilatoire, tout en dépeignant la société qui se détraque arrière-plan, un désordre du monde auquel Jane semble totalement aveugle.
La Viduité en parle magnifiquement sur son blog ici, et Emmanuelle Caminade sur L’Or des livres ici.
Erwan Larher - Pourquoi les hommes fuient- Quidam éditeur ,
Charybde7, le 20/11/19
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