L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

Radouan Zeghidour se paye la Sainte Chapelle

Cité, des îles, la plus grande de Paris, s’est en une année métamorphosée. Un mégot mal éteint, et sa forêt millénaire s’embrase jusqu’au bout de la nuit. Le TGI de Paris relégué à Porte de Clichy et c’est la plus ancienne instance judiciaire qui disparaît : le Palais de la Cité, dont les cachots ont enclos Marie-Antoinette, Robespierre, Ravachol et tous les autres prévenus ou condamnés anonymes de Paris. Le Palais en porte les stigmates, tel un musée archéologique de l’infraction à la loi.

Radouan Zeghidour Courtesy of the artist & Galerie Dohyang Lee, Paris

Les couloirs et bancs d’attente des diverses chambres sont marqués par ces passages, comme autant de purgatoires saturés d’inscriptions, de dessins, de cryptes et de signatures gravées, qui se lisent comme les derniers testaments avant sentence.

Jadis, il y avait ainsi une cohabitation insolite dans le Palais : la Sainte Chapelle et la Prison, la couronne d’épines nimbant les cachots enfouis plusieurs mètres en dessous, et le fragment de la « vraie croix » jouxtant la guillotine. Puis, plus tard, les files d’attente des croyants et des touristes appareil photo au cou, faisant face à celle des prévenus, convocation au bout des doigts. Le pardon et le châtiment réunis dans un même Palais, dont les cloches annonçant l’office ou la sentence pouvaient alors se confondre. Une proximité d’encapuchés, moines ou détenus, comme celle des mots capuche et chapelle qui ont tous deux la même racine : Cappa.

Radouan Zeghidour - Hypogea

Le Crime et la Rédemption donc, et c’est le choix de la traduction allemande pour le livre de Dostoïevski : Prestupleniye i nakazanye, lui qui, de Souvenirs de la maison des morts aux Démons n’a cessé d’exprimer que le salut se trouvait au fond de la perdition. Les débauchés nihilistes, les femmes fatales, les menteurs pathologiques, les alcooliques invétérés, et leurs ruines soudaines, leur mariage annulé ou leur suicide, s’en retournent tous, à chaque fois ou presque, vers le Christ.

Mais c’est un autre livre que l’incendie de Notre Dame de Paris a remis au goût du jour, celui éponyme de Hugo, dans lequel il nous décrit la Cour des Miracles, cette cour où les gueux, les mendiants et les voleurs se réfugiaient la nuit tombée. Le miracle tenant en ce que les aveugles y retrouvaient la vue, et les boîteux l’usage de leurs jambes.

Et les siècles ont passé, et cette cour, telle un Phoenix, a su renaître de ses cendres.

Radouan Zeghidour Citadelle, 2013

« LA SAPEL PORTE DE LANFER », un tag inscrit en jaune sous un échangeur de béton hurlant en lisière de Capitale.

Porte de la Chapelle, une cour sans miracles, où les réfugiés et les toxicomanes errants ont succédé aux malingreux et aux coquillards, tandis que les dealers de crack ont pris le trône du Roi des Thunes. Porte de la Chapelle, ce seuil au-delà duquel la ville lumière a déporté ses rebuts d’obscurité. Et chaque soir, c’est une arche de la subhumanité qui vogue, pour s’échouer le long d’une promesse : rue de l’Évangile, là où trône muet, la tête inclinée et le regard figé, le dernier Calvaire des Portes de Paris.

Radouan Zeghidour, né à Paris en 1989 où il vit et travaille actuellement, est diplômé de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris, en 2016. Actif, il multiplie les expositions collectives comme la participation à la 68ème édition de Jeune Création en 2018, ou bien Nos ombres devant nous à la Fondation Ricard en 2017. Il multiplie aussi des expositions personnelles, comme Hypogea à la Catinca Tabacaru Gallery à New-York, en 2016, LXXV Chants de Sirènes, à la Yamamoto Keiko Rochaix Gallery à Londres en 2019, tout en s’illustrant au Salon de Montrouge, la même année. Radouan Zeghidour a été le récipiendaire des Prix Thaddaeus Ropac (2014) et du Felicita de l’Ecole des Beaux Arts en 2017.

Radouan Zeghidour - Sainte Chapelle ->16/11/19

Galerie Dohyang Lee 73-75, rue Quincampoix 75003 Paris

Radouan Zeghidour : LXXV Chants de Sirènes