Jaimie Branch a la rage et “Fly or Die II” le prouve : ouragan
Parmi les nouveaux artistes de jazz les plus excitants des dernières années, Jaimie Branch est au top. “Fly or Die”, en 2017, était un premier envoi majeur pour la trompettiste, compositrice et chef d'orchestre qui s'est appuyée sur son expérience de l’avant-jazz de Chicago pour mieux se l’approprier. Et son nouvel album emporte tout sur son passage… “Fly or Die II Bird dogs of Paradise” !
Après une collaboration avec Jason Nazary l'année dernière, Branch revient avec Fly ou Die II : bird dogs of paradise. Composé alors qu'elle était en tournée en Italie et enregistré à Londres, l’album reprend exactement à l’endroit où le premier s'était arrêté pour mieux l'approfondir. Certes, Jason Ajemian (basse) et Chad Taylor (batterie) sont toujours de la partie quand le violoncelliste Tomeka Reid a été remplacé par Lester St. Louis, mais la plume de Jaimie Branch y développe encore plus de passion. Cette fois, Branch est allée au-delà de la trompette et des synthés habituels pour ajouter sa voix chantante au mixage. Une autre façon de faire passer ses émotions dans sa musique de la manière la plus directe et la plus exposée qui soit, et c’est l’occasion de découvrir une bonne chanteuse : "Prayer For Amerikka Pt 1 & 2" sonne autant Chicago versant blues que relecture actualisée façon AACM. Branch lance quelques notes de trompette, puis chante une longue diatribe qui donne l'ambiance de la musique et, passant de l’une à l’autre, elle crie son indignation face au racisme, en utilisant sa tonitruante trompette pour y ajouter des points d'exclamation.
Cela dit, Jaimie Branch n'a pas besoin de chanter pour faire passer des messages musicaux vifs et puissants. Ainsi "Twenty-Three n Me, Jupiter Redux" se construit sur un ostinato à la mexicaine avec des overdubs de trompette bien claquants, jusqu'à ce qu'un intermède free introduise un motif plus rapide qui va se dissiper dans l'éther. La sublime complémentarité de la basse et du violoncelle de "Bird Dogs of Paradise" imite un mouvement d'orchestre de chambre complet, envahi par les motifs funky et les jappements festifs de Taylor qui ouvrent la voie à la bossa nova du "Nuevo Roquero Estéreo". Mais cette bossa groove encore plus fort que les autres titres et, combinée au bruit électronique assorti de Branch derrière sa trompette, elle fait pas mal penser au São Paulo Underground de Rob Mazurek.
L’interaction unique entre le bassiste et le violoncelliste dévoile clairement le supplément d’âme qui rend ce disque si spécial, avec leur connexion en pleine lumière sur le calypso "Simple Silver Surfer". Puis, Branch termine cet album sur une note douce et romantique....en quelque sorte. Elle chante les paroles du titre "Love Song (for assholes & clowns)" dans la tradition torch song et sa trompette - bouchée ou non - transperce tout, tandis que la batterie de Taylor fait monter très haut la tension sous-jacente.
Engagée, novatrice, intrépide, imprévisible et vulnérable, Jaimie Branch a tenu la promesse de Fly or Die en s'envolant à nouveau avec Fly or Die II : Bird dogs of Paradise … artiste à voir absolument à Sons d’Hiver - on y reviendra en temps voulu.
Jean-Simon Okoumé le 18/10/19
Jaimie Branch - Fly or Die II : Bird dogs of Paradise - International Anthem Recording Co.