L'AUTRE QUOTIDIEN

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Venez danser avec Urs Lüthi au centre culturel suisse

Just Another Dance constitue une entrée réussie dans l'œuvre féconde de Urs Lüthi. L'exposition radicale  reflète tous les paradoxes de ce grand timide qui n’a eu de cesse de faire de son corps, de son visage, un objet d’exhibition, d’invention et d’appropriation. 

Urs Lüthi, vue de l’exposition Just Another Dance au Centre culturel suisse, 2018

Avec pour seul mot d’ordre la mise à l’épreuve du monde à travers sa subjectivité, Urs Lüthi se fait connaître dans les années 1970 avec des autoportraits qui le voient grimé ou « naturel », nu ou vêtu de costumes, masques qui offrent une variété d’images passionnant et un corpus oscillant entre la fantaisie du jeu, la beauté plastique du noir et blanc et la mélancolie brûlante de ses regards bien souvent vides. Pour cette exposition Just Another Dance,l’artiste réactive son emblématique série The Numbergirl de 1973 qui le voit torse nu, prendre différentes poses affectées. Sous un filtre rose, cette série se pare d’un voile du souvenir qui uniformise à nouveau la succession d’images qui, si elles renvoient immanquablement, du fait de la prégnance du corps, de l’exhibition ambiguë d’un pubis naissant plongé dans l’obscurité à la sexualité, ne s’y réduisent jamais. Avant d’être une question de sexe ou de genre, ce panneau monumental engage la pure perception, de la vie, du visuel et de ce que chaque subjectivité y infère. Dans cette accumulation de clichés aux différences subtiles, Urs Lüthi parvient à noyer finalement son identité sous un flot d’images duquel se dégage un simple modèle générique que, lui-même, traite tel un objet extérieur et qui, dans sa mise en scène, devient l’objet de réflexion des subjectivités qui le rencontrent.

Le corps de l’artiste ne se transforme finalement jamais plus qu’avec le temps, et devient le témoin impuissant, malgré ses membres en plus, de son évolution. Délestée de toute tentation critique, cette disposition dans l’espace n’a rien d’un constat cynique, au contraire, la démarche même de l’artiste, rejouant continuellement des œuvres réalisées dans sa jeunesse se nourrit de cette circularité pour inventer un autre regard sur sa subjectivité. En ce sens, chaque œuvre devient une partie dynamique et jamais figée d’une expérimentation plus large de sa vie et de son corps. Elles sont des objets d’invention et de création qui, en conservant une distance, une privation de sentiments et de discours frontal soulignent un subtil voile de pudeur chez l’artiste.

Urs Lüthi, vue de l’exposition Just Another Dance au Centre culturel suisse, 2018

Une pudeur que l’on retrouve dans la tension entre folie explosive des corps démultipliés, des membres proliférants, et immobilité grave des regards impassibles, entre la succession, jusqu’à l’ivresse, de variations du visage et fragilité d’un corps à nu. Cette tension est finalement l’une des plus belles réussites de Just Another Dance qui, sous ses dehors âpres renforcés par une bande de peinture d’un vert qui évoque immanquablement les ensembles administratifs des années 1970, reflète l’ambivalence d’un artiste à l’inventivité remarquable dont le portrait présente un visage bien plus trouble qu’il n’y paraît. 

Albert Jordan (avec dossier de presse) le 5/06/18

Urs Lüthi - Just Another Dance -> 15/07/18
Centre Culturel Suisse  32-38, rue des Francs-Bourgeois  75003 Paris

Urs Lüthi, The Numbergirl, seen through the pink glasses of desire, 2018© Urs Lüthi