Les femmes (photographes professionnelles) s'exposent à Houlgate
Les Femmes s'exposent est un festival dédié aux femmes photographes professionnelles, à l’heure où elles manquent de visibilité. Elles représentent 25% de la programmation des événements photographiques, moins d’un quart des photographes des grandes agences, et gagnent moins bien leur vie. Le festival valorise et récompense leurs travaux.
La première édition a ouvert ses portes le 8 juin dernier et offre jusqu'au 16 juillet prochain : une résidence, 14 expositions en extérieur et en intérieur, 4 prix qui récompenseront des travaux dans des domaines différents, 3 projections de réalisatrices ou femmes photographes, et enfin, des tables rondes et des signatures de livres.
Valérie Léonard présente Black Hell. Le reportage dépeint dans une image au cadre impeccable la réalité d’une très large communauté de plusieurs dizaines de milliers de “mineurs” dans la vallée du Damodar, au nord-est de l’Inde, sur un territoire assez vaste pour qu’il soit comparé à une région française. Ces mines à ciel ouvert se consument lentement, le feu y couve depuis plus de quatre vingts ans ans et dégage des vapeurs toxiques de dioxyde de carbone, soumettant la population misérable à un enfer. Enfer physique doublement, en raison des sols brulants et des trous qui se forment, avalant les abris précaires de ces familles, enfer d’un travail physiquement éreintant, dévolu à tous, enfants, femmes, hommes, à peine payés. Toute une économie parallèle s’est organisée aux portes des sites en plein air, s’emparant du charbon entre 4h et 8h du matin, pour se rendre ensuite au marcher de la ville et le vendre, afin de pouvoir survivre. Ces rapines sont tolérées par les sociétés minières qui ont établi une exploitation scandaleuse d’une main d’oeuvre sous payée. Cette population vit avec le strict minimum, un filet d’eau leur permet à peine de se laver, les vélos avec lesquels ils transportent le charbon à une dizaine de kms, pèsent 350 kg, une fois chargé…. Loin de se lamenter ces hommes et ces femmes ont une joie de vivre malgré la souffrance et les difficultés. La photographie de Valérie Léonard témoigne de tout cela, comme de son insatiable et remarquable volonté morale à combattre les injustices, celle toute première de ne pas oublier cette humanité sacrifiée aux profits des société minières, cet engagement solide en fait une oeuvre de combat… Voir le film.
Catalina Martin Chico, qui vient d’exposer une formidable série au Festival photo de la Gacilly pour lequel elle était en résidence également, expose le monde suspendu des Amish, où sa résidence a été beaucoup plus brève. Elle témoigne de la vie de cette communauté religieuse du 19 siècle, sans électricité, sans voiture, en dehors de tout consumérisme. Un mode de vie figé dans un code moral très strict condamne les tentations liées à la facilité d’un mode de vie plus moderne. Aucune permissivité ne semble devoir être tolérée, ni celle des plaisirs d’une sexualité libre et assumée (depuis la Beat Generation), ni celle des codes vestimentaires ou de ces déplacements en calèche de plusieurs heures pour se rendre à quelques miles. Un monde s’en trouve précipité, complètement décalé, censé formuler un rempart contre la facilité et les séductions d’une société américaine basée sur la consommation et l’hédonisme. De fait, soumise aux interdits, Catarina Martin-Chicot a rencontré nombre de difficultés pour approcher simplement ce que sont ces américains issus du passé, sanctuarisés en Pennsylvanie, en marge d’une société dite libre et de pouvoir en rapporter des images pleines et vivantes. Un parfum de joie se dégage de ces images, pour autant, d’énergie, mais tient-il au caractère généreux et solaire de la photographe, à son enthousiasme formidable, à son charisme qui entre entier dans ses images, offrant une lecture moins critique qu’euphorique des Amish, ou à la joie de vivre de ceux ci? Que dit le reportage des failles et des tensions de ce type de communautés, des désespérances et de l’autoritarisme que pose toute micro société de ce type? Sans doute a t il été impossible de le photographier, de pouvoir s’approcher plus près de cette question, liant liberté de soi et règles religieuses, contraintes morales. Les sociétés parfaites semblent appartenir plus au domaine de l’illusoire et aux utopies qu’au projet équilibré et pacifique du vivre ensemble dans l’altérité. Voir le film, écouter les propos de l’auteure. Exposition située sur le flanc de l’église…très joli bâtiment de briques rouges….
Il n’y a que deux pas à faire pour entrer dans le monde de la grande nuit polaire d’Axelle de Russé, avec L’arctique sur des charbons ardents. Publiée fréquemment par la presse, prix Canon de la femme photo journaliste en 2007, Axelle présente ici, à 1000 kms du pôle nord, au Spitzberg, la nuit anciennement glaciale et toujours articque de la petite ville située le plus au nord de l’hémisphère. Aux environs de Noël, la température extérieure avoisine habituellement les 40 degrés en dessous de zéro, récemment, ce n’était pas plus de10/15 degrés, un différentiel de 20 degrés apparaissait, sans aucune neige. Axelle expliquait que l’hiver arrive en général fin Septembre, mi Octobre, c’est pourquoi l’absence de neige avant cette fin d’année a retenti comme un marqueur indéniable du réchauffement climatique, occasionnant une situation psychologiquement préoccupante pour les habitants. On imagine facilement les traductions pour la faune, les montagnes apparaissent noires, comme des canyons abandonnés par la nuit. Heureusement, obligée par son sujet, (un livre est encours) Axelle de Russé est revenue plusieurs fois, d’autres photographies dont celle d’un pasteur, en pleine nature blanche, portant une sorte de cape bleue déployée par le vent, pause en haut d’un promontoire neigeux, tandis que la ligne bleue de l’océan articque se fond avec le ciel. Il est midi, l’école est en pleine nuit, tandis qu’une neige tombe. Il est midi. De surprenantes images décryptent ce bord de pole. en donnant la vision d’une terre devenue étrangère à elle même où la neige, la glace sont désormais absentes du Paysage en Décembre. Voilà qui fait image au premier chef.
Retour sur le bord de mer, Sandra Mehl expose Destinés à l’horizon fait des photographies issues d’une série qui a commencé sur les bords de l’étang de Thau et sur les rivages de sa ville natale Sète, qui a continué ensuite sur toutes berges océanes et maritimes, à s’éprendre des situations ou apparaissent des inconnus, enfants, adolescents en groupe, familles; trois garçons en maillots de bain sur un parapet, prêts à plonger, grelottant, un père et son fils, de loin, en haut de rochers, devant une de ces grandes cabanes de pêches en surplomb de l’océan, un pêcheur dans l’eau, quatre jeunes adultes autour d’une tente, toute situation ramenée à un vécu autobiographique et à cette tension secrète, sensation inédite d’un temps pur, consacré à soi. Il est probable que pour Sandra, ce temps là soit aussi celui des premières bonnes photographies, réminiscence de la première ”clope”, du premier baiser, toute épiphanie s’inscrivant par sa chimie dans la mémoire sensorielle, indélébile. Ce qui revient à entrevoir une forme de métaphysique de toutes les fois où s’est inscrit le sentiment profond de l’union de soi et du monde, dans un tremblement. Ce temps privé, est une sorte d’empreinte mémorielle inconsciente, devant le rester, puisqu’un mécanisme inconscient fait jouer un plaisir secret, au moment où, la photographe retrouve quelque chose qui s’est transmis à travers sa photographie, de cette sensation, de ce qui a fait événement, de ce qui est advenu, malgré soi ou avec soi, vaste question…. ce qui ne peut être qu’ inédit, disparaitre sans prévenir, sans qu’aucune mécanique ne puisse assurément et à coup sur re-produire ce qui troue la continuité du temps où il ne se passe rien; Une mélancolie, expression d’un manque inconscient devenu spleen conduit toujours l’auteure à le rechercher mystérieusement et à en jouir dès lors qu’il parait, dès lors qu’ il se manifeste. Cela est sans doute lié à ce que les grecs appelaient l’AÏON, ce temps de l’enfance lié au corps enfant et sans doute à ce que Barthes appelle le punctum… « Ce second élément qui vient déranger le studium, je l’appellerai donc le punctum ; car punctum, c’est aussi : piqûre, petit trou, petite tache, petite coupure – et aussi coup de dés. Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui, en elle, me point (mais aussi me meurtrit, me poigne). pp 48-49 » Arasse citant Barthes. Cette citation semble assez juste pour défaire les pistes qui a priori tiraient vers une forme romanesque, romantique du réel. De fait ce mouvement d’attente serait plus proche du Nouveau Roman que du roman réaliste…
Léa Crespi expose dans une image construite ses portraits de commande pour la presse, Romain Duris, regard bleu, visage et mains, distances interrogatives, Joan Baez, proche et silencieuse, Guillaume Galienne en pied, perdu dans le parking des anciens locaux de libération, regard en coin, silhouette hivernale, lumière crue, David Lynch, cheveux en bataille, lèvres un peu pincées, tête rentrée légèrement, regard porté, issu d’un monde intérieur comme de la surface d’un lac au bleu profond et mystérieux, d’où rien ou si peu, ne filtre, transparence du visage; Patti Smith, silhouette perdue dans une forêt d’herbe, profil filant, équilibre du temps entre sa main droite arrière et sa main gauche, silhouette romantique au long manteau et à la blancheur de sa chemise, océan de verdure, nage de l’instant, le temps semble un océan d’où il faut s’extraire par énergie et volonté… Chez Léa Crespi, Tout est suspension, occasion de mettre l’éphémère dans l’apparence, de retenir la présence au fil de l’instantanéité de la photographie, de retenir ce que le corps, le visage, disent de cette présence, sans discours, sans direction avérée; l’instant seul compte, l’instant où se dévoile l’autre dans une fraction du temps, dans ces solidités liquides de l’image, de l’imagination créative, d’un rendez vous entre deux instants, entre deux présences. Ce qui est soumis à l’image par la lumière, assez picturale, lumière des peintres, quand l’infinitésimal de la seconde marque l’heure juste, arrêtée au cadran de la montre, évoque Desnos, l’acte poétique qui relie par l’espace et le regard, une sympathie élective. Léa Crespi écrit avec la lumière intérieure des regards et celle issue de l’ombre des corps, ces voyages secrets où s’imprime la sensation physique du portrait. Interrogée sur son “dispositif”, elle parle de l’un de ses portraits préférés, Karin Viard. (Écouter l’interview)
Qui sont les habitants à l’année de Houlgate? Florence Levillain, en résidence, cherche à mieux connaître ceux qui font l’activité permanente de la ville, son authenticité. Enfants, jeunes parents, travailleurs ou retraités, figures de Houlgate, ils restent discrets dans le tumulte de l’été. Ici, ils nous racontent ce qui, par vents et marées, les attachent à ce lieu : un émerveillement quotidien qu’ils partagent pudiquement. Ces portraits nous font découvrir par petites touches la diversité de cette ville et la richesse des individus qui y demeurent. Source dossier de presse.
En résidence à Houlgate, Florence Levillain expose les habitants d’Houlgate, sous la forme d’une association de plusieurs images qui se recouvrent, se dévoilent, se conjuguent, pour faire portrait des hommes et des femmes, adolescents qui habitent la ville, gens dits “ordinaires” et chaleureux, évoquant avec sourire et justesse des vies, pas toujours simples mais denses, passionnées parfois, de ces personnes avec qui il fait bon échanger des propos quotidiens, qui rassurent, qui habitent le temps et l’espace, qui donnent sa densité et ses couleurs au pays, qui en sont l’âme. Peu importe que ce soit l’hiver, que la ville soit dévolue à la nuit et au froid, que l’humidité pénètre sous les pulls, une chaleur inaliénable habite ces quotidiens, dans toute sa dimension journalière et préhensile, retour des aiguilles sur l’horloge sociale, Florence Levillain transcende son sujet, fait oeuvre, se rend complice des sourires moqueurs, s’empare de la simplicité, monte ses images en accumulant un portrait, un lieu, un espace. Dans ces tropismes tout un monde se révèle, s’actualise, source identitaire qui donne à ses portraits au delà de l’enracinement du réel, une portée onirique et imaginaire libératrice. On sent que Florence a véritablement échangé avec humour et passion. Voyons donc les fruits imagés de cette passion amicale entre la ville, ses habitants et l’air qu’on y respire…il est minuit, docteur Schwertzer.
Mossoul jusqu’à la mort, photographie de Laurence Geai
Laurence Geai est un témoin engagé aux côtés des populations qui souffrent et témoigne de la reprise de la seconde ville d’Irak, à l’Etat Islamique au prix de combats sanglants et meurtriers, à l’été 2017. Ces Photographies montrent la guerre en dehors de toute complaisance, sans monstration, sans système idéologique devant orienter les images vers tel message, dans une honnêteté certaine, crue, où la barbarie, la destruction, la mort sont présentes, immanquablement, afin que tous, puissent voir, par ses yeux la réalité amère et l’oeuvre du néant. James Natchwey ne montre pas autre chose en ce moment à la MEP… Devant tant de sang, devant le jeu politique des puissances étrangères censées mettre fin au conflit depuis plusieurs années, devant les intérêts stratégiques et politiques du conflit, les diplomaties se sont montrées inefficaces et aveugles, semblent faire peu de cas de la barbarie des tyrans et du prix du sang dont les peuples s’acquittent dans la douleur et la mort. C’est avec cette humanité que Laurence Geai témoigne de son engagement au côté d’un parti-pris de vérité et d’yeux grand-ouverts sur les atrocités et le théâtre de la ville. A regarder ces photographies, tout est dit de l’implacable carnage qui nous révoltait, de l’amplitude des moyens militaires engagés et de la ténacité des combattants contre l’état islamique. Le journal le monde International titrait “Dis à celui qui pleure debout, face à la destruction, qu’au moins il n’est pas à genoux.” Et envoyait Hélène Sallon, accompagnée du photographe Laurent Van der Stock en mission sur le retour de la ville à la paix et à la reconstruction. Le monde du 7 Juin 2018. Quelques mois après la fin de la guerre, les traces du conflit s’effacent, la vie reprend son cours, mais nous ne pouvons oublier la tragédie.
Lors du week-end d'ouverture, le festival Les Femmes s'Exposent a dévoilé les lauréates de ses quatre nouveaux prix :
"Héroïnes" d'Anne Kuhn / Grand Prix sur la condition des femmes
"Cité vigilante" d'Amélie Landry / Prix OBS
"A la recherche du Paradis Blanc presque perdu" de Stéphanie Buret / Prix Nikon de la révélation photographique, sur l'environnement
"Shanghai Cosmetic" de Leslie Moquin / Prix SAIF du regard artistique sur la ville dans tous ses états