Soufiane Ababri convoque des vies hantées chez Praz-Delavallade
Soufiane Ababri porte sur Tanger ce que Genet appelait ses « jugements magnifiants », un regard transformant la réalité entre Orient et Occident revendiqué par ses choix esthétiques et littéraires. A la suite de Ginsberg, Burroughs ou Kessel.
« Son regard n’était pas d’un autre : c’était le mien que je rencontrais dans une glace, par inadvertance et dans la solitude et l’oubli de moi »
Jean Genet.
On l’imagine se laissant aller à la déambulation, saisissant sur le vif par la photo volée (dans une complicité « Genétienne ») ces fugaces fragments de désir irriguant ses dessins, esquisses révélatrices de ses thèmes de prédilection comme jetés, sans remord à la face du regardeur. D’emblée il est question de virilité, mais d’une virilité autre, décryptage abrupte d’une pensée dialectique à une pensée tragique. « Je réfléchis beaucoup au rôle de la violence dans l’histoire des formes, aux mécanismes de domination et comment produire un travail qui les démantèle », précise-t-il.
Comment des dessins apparemment inoffensifs, ces bed works exécutés par Ababri en position allongée dans son lit conceptualisant l’idée de représentation des artistes orientalistes, portent en eux une telle charge revendicatrice, « Mes dessins jouent avec la notion d’érotisation comme outil politique. Érotiser le politique et politiser l’érotisme.»
Il y a une volonté de mettre à distance le travail d’atelier et tout ce qu’il génère comme imaginaire lié à la puissance et la technique autoritaire de l’artiste. Un éloge à la domesticité et une façon de se mettre dans la position des modèles peints par les orientalistes qui dominaient les femmes, les esclaves, les arabes en les allongeant dans cette position lascive et passive.
L’ambition d’Ababri est de produire un discours combattant avec pour corollaire une proposition de travailler performative, une démarche inspirée par certaines formes de résistance dans les mouvements Afro-Américains et gay, de « l’empowerment » qui prenaient ce qui était considéré comme un défaut pour le détourner en leur faveur. Un discours politique mais qui ne reprend pas un vocabulaire autoritaire de dominant, ses seules armes, le crayon de couleur, la position allongée et des dessins qui abordent des thématiques personnelles diverses, une sorte d’intersectionnalité entre race, classe sociale, immigration, genre, sexualité, corps et histoire post-coloniale.
Soufiane Ababri examine essentiellement l’ambivalence d’une société, traversée de tensions qui ne reflètent pas tant des contradictions que des complémentarités. Il porte en héritage sa propre histoire comme un mille-feuille d’événements intimes. Féru de sociologie son travail est tout entier un jeu de regard, il observe un monde qui l’observe jouant la carte d’une introspection mêlant perception particulière, représentations communes et faits sociaux convenus. Un exercice à l’image des miniatures perses, jeu subtil entre ce que l’on cache et ce que l’on montre.
Né en 1985 à Tanger au Maroc, Soufiane Ababri vit et travaille entre Paris et Tanger. Diplômé de l’École Supérieure des Beaux Arts de Montpellier en 2010 et de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris en 2014, l’artiste a fait l’objet de plusieurs expositions en France et à l’étranger. Son travail est inclus dans les collections du Musée du MAC/VAL et du FRAC Poitou-Charentes.
Gilles Dalose le 9/05/18 avec galerie
Soufiane Ababri — Haunted Lives -> 16/06/18
Galerie Praz-Delavallade 5, rue des Haudriettes 75003 Paris