L'AUTRE QUOTIDIEN

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Découvrir la Radi(c)al Grammar de Batia Suter

Partant d'images existantes, Batia Suter travaille un matériau décontextualisé, hors d’usage, qu’elle s’approprie pour son motif seul. De là naissent ses installations surprenantes, par ricochets successifs qui dévoilent une étonnante alchimie, une forme poétique autonome, faisant fi et de l'histoire des images et de leur juxtaposition par un quelconque algorithme. 

 Jusqu'au 26 août prochain, le BAL présente Radial Grammar, installation in situ de Batia Suter qui se déploie dans tous les espaces du lieu. Batia Suter y écrit en images car, elle les collecte et les  accumule inlassablement, depuis plus de 30 ans. Tous les types d’images retiennent son attention, mais principalement l’image imprimée. Menant ses recherches en privilégiant l’aléatoire comme méthode, ses sources sont aussi multiples que les supports d’impression eux-mêmes : albums photo en tout genre, atlas, imprimés scientifiques, catalogues promotionnels, livres d’art et d’histoire, revues animalières et bien plus encore.  Elle a d'ailleurs remporté plusieurs prix pour ses livres.

Une fois ces images collectées et classées, Batia Suter démarre son jeu de montage et d’assemblage en jeu de hasard assez dadaïste, les plaçant et déplaçant jusqu’à ce que l’évidence surgisse. L’image imprimée fait ici office de ready-made Duchampien, matériau décontextualisé, hors d’usage, qu’il s’agit désormais de s’approprier pour son motif seul. De ce montage par ricochets successifs naît une étonnante alchimie, une forme poétique autonome, alternative à notre savoir historique et qui nous emporte dans un univers conçu différemment et montré comme tel.

L'expo commence dans la rue, à l'entrée de l'impasse de la Défense, avec une gigantesque image de chaussure collé au mur, à l'instar de celles qu'on pouvait louer dans le quartier auparavant pour toute occasion festive ou usuelle. Puis, entrant, on trouve au rez-de-chaussée, trois murs d'images et une surprenante installation de boîtes domestiques qui forment un motif au seul prétexte qu'elles sont quasi identiques à un détail de fabrication près. Toutes boîtes achetées par l'artiste et montrées ici pour en faire ressortir le point de détail qui fait toute la différence et l'unicité de la forme. en pied de nez à l'uniformisation des formes industrielles; quasiment à leur insu. 

Au sous-sol, deux autres motifs sont présentés, l'un redonnant au lieu son existence première de l'entre-deux guerres, le bal populaire italien qui exhibe des corps au moment de l'échange, de la danse et peut-être plus. Des images de corps morcelés, sans tête, juste présent en témoignage du passé recomposé. Et puis, sur de gigantesques coussins au centre de la pièce, on s'installe  ensuite devant un projection qui donne enfin toute la puissance de l'œuvre : un diaporama digne de Lewis Carroll qui démonte, invente, suggère et finit par imposer la vision de Suter, son choix dans une succession qui n'appartient qu'à elle ; parfait moment de sampling qui recrée une autre vision en la proposant juste sous notre nez. 

Fragmentés, dissociés, visages et corps peuplent l’espace du BAL peu à peu contaminé par une pulsation de formes qui semble animée d’une logique organique propre. Libérée de son but et de son format originels, l’image devient  une particule en mouvement d’un nouvel ordre imaginaire en constante recomposition, infini et vertigineux. Objets de combinaisons intuitives, les images entrent en polarité pour former une œuvre animiste, postulant la beauté dans le chaos de tous les faits et gestes du monde.  

Et, comme disait Deleuze : Mais improviser, c'est rejoindre le Monde ou se confondre avec lui. Là, on est devant un être au monde - et il est carrément de toute beauté. 

Jean-Pierre Simard le 30/05/18

Batia Suter - Radial Grammar -> 26/08/18
Le BAL,
impasse de la Défense 75018 Paris 

Cette exposition fait partie de Oh ! Pays-Bas, saison culturelle néerlandaise en France (2017-2018).

L’exposition se prolonge au Centre Culturel Suisse, Paris, avec Batia Suter – Sole Summary du 9 juin au 15 juillet et en Gare Montparnasse avec une installation inédite de Batia Suter présentée par SNCF Gares & Connexions et LE BAL, du 22 mai au 15 juillet (quai 24).

On vous reparle des événements autour de l'exposition pour la seconde partie aux alentours du 9 juin prochain.