Junya Ishigama libère les nuages dans l'archi contemporaine
Quand les premiers mots de Junya Ishigami sur le mur de la Fondation Cartier sont : « J’aime penser librement, avoir une vision la plus souple, la plus ouverte, la plus subtile possible, pour dépasser les idées reçues sur l’architecture ». On l'espère…
On rêve que l’exposition soit bien à la hauteur de cette pensée. Et la toute beauté des maquettes, la mise en situation et les dialogues de chaque détail parviennent exactement à cette finalité.
Visiter cette exposition, c’est pénétrer l’univers onirique et subtil de l'architecte contemporain nippon Junya Ishigami. Tout fait signe, tout y est nuage, tout est ciel. De canopées monumentales, en construction de la maison au jardin, avec des portes de Place d’une élégance à couper le souffle: tout ce qui est montré construit un rêve. Et quel rêve !
Rêve d’espaces idéaux et jamais contraints. Rêve de passages entres les espaces. Rêve de traversée. Rêve de jardins. On pourrait trouver cela virtuose et, comme lors de beaucoup d’expositions d’architectes, être impressionné par la technique. Sauf que Junya Ishigami réalise et étudie ses maquettes comme des œuvres d’art et qu'au final, ce sont bien des œuvres d’art.
Faites de papiers découpés, collés ou, comme pour d’autres avec son « inventaire d’arbres », un jeu d’encart qui, d’un coup, donne un volume. Ailleurs, une pureté blanche et une arche qui se trouvent être une porte attrapeuse de nuages, affiche une démesure surréaliste. Et ces animaux sculptés dans du papier d’aluminium (comme ci dessus) que l’on jurerait sortis tout droit d’un esprit espiègle et farceur.
Rien parmi ces objets, maquettes, images et dessins n'est anecdotique. Tous participent à la compréhension et à la vision exacte de ce qu’il « rêve librement ». Un jardin d’arbres et ses petits « lacs » qui forment de drôles d’espaces, deviennent des trames de graphites, des espaces gris neutre en impression numérique constellé d’annotations et enfin des petites cavités d’un reflet miroir, où les arbres blancs viennent faire danser leurs branches de papier.
On est où ? À l’intérieur ou à l’extérieur ?
Ce petit bout de papier (image d'ouverture) collé à même la canopée d’un centre commercial inouï résume à lui seul tout la philosophie de Junya Ishigami. La porosité entres les espaces n’est pas contrainte, c’est un jeu, une sorte de paradigme élevée au rang de vérité pour que l’espace ne soit jamais contenu dans la construction, mais que le dehors soit lui aussi un espace du dedans déterminé autant que déterminant par l’intervention de l’architecture. Cette idée de causalité entre les espaces parait évidente lorsqu’on voit les réalisations d'Ishigami. Pas un seul des espaces qui reçoit son intervention n’est contraint ni enfermé. Il est, semble-t-il, aussi libre et ouvert que dans ses croquis (dans ses idées).
A la japonaise, Junya Ishigama travaille l'architecture en transformant des éléments existants qu'il sublime par son approche totalement atypique des sujets qu'il aborde. Des fois, comme en Russie, il révèle en relevant les fondations d'un Musée technologique, un autre possible de sa conception d'origine. Ou bien, désirant offrir à sa grand-mère et à la maison qui l'a vu naître une nouvelle finalité, il en retient l'essence en la transformant complètement en moment zen, ouvert sur l'extérieur et le jardin.
Mais surtout, dans le film de présentation qui accompagne l'exposition, on peut l'entendre affirmer que sa vision de l'architecture ne consiste pas seulement à composer un bâtiment, en tenant compte de son environnement; mais qu'il le conçoit comme un moment à travailler, en le prévoyant apte au changement et à sa propre disparition ( le bâtiment - pas l'architecte) dans un monde mouvant et apte au changement… Onirique et écologique dans ses dimensions et ses réalisations, une grande œuvre s'affirme ici - qui bluffe jusqu'aux enfants par son côté ludique affirmé.
Si tu veux ta part de rêve, l’onirisme des pièces posées sur ses pieds, si tu veux oublier le cauchemar ambiant, pour retrouver l’espoir que tout est encore possible en faisant confiance à la nature, alors il faut te rendre à la Fondation Cartier. Tu profiteras dans cet espace transformé par la présence des rêves de Junya Ishigami, d’un peu des nuages qui parsèment ses idées et beaucoup des ciels qui entourent les nôtres. Tu repartiras avec une constellations de désirs qui devraient sans aucun doute t'aider à accoucher tes propres rêves.
Ricard Maniere le 18/04/18
Freeing Architecture, Junya Ishigami -> 10/06/18
Fondation Cartier 261, bd Raspail 75014 Paris