Raoul Hausmann : clic-clac, merci Dada !
Tour à tour danseur, poète, sculpteur, directeur de revue littéraire, activiste révolutionnaire et photographe, Raoul Hausmann, grand agitateur des nuits berlinoises dada des années 20, voit une rétrospective, digne de ce nom, avoir lieu au Jeu de Paume qui montre enfin ses travaux photographiques assez trouants.
Ce travail d’abord montré au Point du Jour à Cherbourg, Raoul Hausmann. Un regard en mouvement bénéficie de prêts exceptionnels d'institutions conservant des tirages de l’artiste. Il dévoile, au tournant des années 1930, un photographe passionné, prolifique, sensible et lyrique, à partir de quelque 130 tirages d’époque, tous réalisés par Hausmann lui-même.
À partir de 1927, Hausmann devient un photographe prolixe. Cette pratique, nouvelle pour lui et immédiatement absorbante, devient la clé de voûte d’une pensée globale foisonnante qui culmine jusqu’à son départ forcé d’Ibiza en 1936. Au cours de cette intense décennie, il aura beaucoup réfléchi à la photographie et développé une pratique profondément singulière du médium, à la fois documentaire et lyrique, indissociable d’une manière de vivre et de penser. Ses amis avaient pour nom August Sander, Raoul Ubac, Elfriede Stegemeyer, et László Moholy-Nagy, lequel ne craignait pas de déclarer à Vera Broïdo, l’une des compagnes de Hausmann : « tout ce que je sais, je l’ai appris de Raoul. »
« Dans un monde où nous n’aurions plus besoin d’être des dominateurs par peur, nous n’oserions plus imposer notre petit ego corporel comme juge optique des réalités spirituelles d’un monde qui n’est pas composé de limites corporelles. Nous ne pouvons pas être des photographes oppresseurs, mais des émotionnés ! » R. Hausmann
L’oubli qui a nimbé l’œuvre de Hausmann redouble sa traversée du siècle clandestine. lui qui fut taxé d’artiste dégénéré par les nazis et quitta précipitamment l’Allemagne en 1933 dut abandonner bien des clichés sur la route de ses exils pressés. Son travail photographique est, dès lors, demeuré secret, largement invisible, présumé perdu, avant que ne soit presque miraculeusement découvert, entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1980, un fonds jusque-là inconnu dans l’appartement de sa fille à Berlin (aujourd’hui à la Berlinische Galerie).
Hausmann photographe étonne. lui dont on connaît la veine acerbe et mordante de l’époque dada vise ici la pacification, la réconciliation; une résistance au temps par la sérénité. À partir du milieu des années 1920, l’atmosphère de Berlin lui semblant de plus en plus oppressante, il prolonge sans cesse ses séjours dans de petits villages sur les bords de la mer du Nord et de la Baltique, qui font à la fois office de refuges et cachettes pour artistes. Là, il photographie le sable, l’écume, les tourbières, des corps nus, les courbes des dunes, le blé, les brins d’herbe, l’anodin qui s’impose dans un éblouissement. Son attention se porte aussi sur de modestes artefacts solitaires, chaises cannées, corbeilles en osier, tous objets troués qu’il transforme en flux, voire en tourbillon de lumière. Hausmann nomme ces expérimentations
mélanographie. Elles rendent le saisissement né de l’apparition de l’image comprise, comme la dynamique d’un processus vivant.
Après l’incendie du Reichstag, il arrive à Ibiza en 1933. Sa pratique évolue alors. Fasciné par la pureté des maisons paysannes en forme de cubes blancs, il réalise l’inventaire photographique de ces « architectures sans architecte », populaires, à la fois anciennes et modernes, qui évoquent le « style international ».
La photographie vient alors soutenir une étude anthropologique de l’habitat vernaculaire, engagée contre les racismes des années 1930. lui-même intégré à la communauté insulaire, évoluant presque hors du temps, comme dans un état de rêve, Hausmann réalise encore des portraits saisissants des habitants, qui sont une autre forme de son engagement. L’éclatement de la guerre d’Espagne, et l’abandon presqu’immédiat du petit territoire d’Ibiza aux franquistes, marquent le début d’un exil pénible qui ne lui permettra plus de se consacrer de façon aussi assidue à la photographie. Hausmann trouvera finalement refuge en France, dans le limousin où il meurt en 1971, cinq ans après sa première rétrospective au Moderna Museet de Stockholm, n'ayant jamais retrouvé les moyens de pratiquer son art.
« La vision, quand elle est créatrice, est la configuration des tensions et distensions des relations essentielles d’un corps, que ce soit homme, bête, plante, pierre, machine, partie ou entité, grand ou petit. » Raoul Hausmann
« Le monde a besoin de tendances nouvelles en poésure et peintrie
les vieilles camelotes ne peuvent plus mentir [...]
Nous voulons farfader le sprit, parce que nous voyons avec nos oreilles et entendons avec nos yeux [...]
le langage n’est qu’un moyen de comprendre et de ne pas comprendre
vous préférez le langage pour comprendre des platitudes que déjà chacun connaît par cœur. Nous préférons le langage qui vous procure un sentiment nouveau pour des temps nouveaux. »
Raoul Hausmann et Kurt Schwitters, Préface pour le projet de revue PIN (Poetry Is Now, Present Inter Noumenal), 1946.
Jean-Pierre Simard le 6/02/18
Raoul Hausmann, un regard en mouvement -> 20/05/18
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