L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

La sculpture qui n'existe pas de Gabrielle Wambaugh

Comme "La sculpture, ça n’existe pas", Gabrielle Wambaugh envisage autrement ses pérégrinations plastiques et propose un parcours ponctué de sculptures fragmentées; pour vous convaincre de la véracité de ses dires. Coup d'œil attentif. 

Gabrielle Wambaugh, Mm !, 2015Céramique et caoutchouc — 74 × 20 × 25 cmCourtesy galerie Eric Dupont, Paris © Gabrielle Wambaugh, ADAGP, Paris — Photographes : Laurent Friquet, Jean-François Rogeboz, Xavier Guille, photographe RMN

L’exposition Ambivalente est née du dialogue ancien que l’artiste Gabrielle Wambaugh entretient avec l’œuvre de Gregor Erhart, la Sainte Marie-Madeleine du département des sculptures du Louvre, et les notions de périphérie, de genre, de norme et de représentation. Des sculptures en ricochets : suggérées, recouvertes, de celles que l’on ne voit pas d’un premier regard et qui ouvrent à plusieurs interprétations. Emmêlant, tricotant différents filtres, elle utilise les matériaux qui lui permettent de diffuser des perceptions, comme présentés à la galerie, la céramique mais aussi la photographie et de grands dessins muraux. 

Gabrielle Wambaugh, Mmmouillée  2017 (détail) céramique et dessin. Crédit photo : L.Friquet Courtesy Galerie Eric Dupont

Les sculptures polymorphes de Gabrielle Wambaugh nous tiennent à l’écart de tout sentiment de maîtrise et nous remettent à la périphérie d’un monde autosuffisant qui se meut. L’artiste elle-même abandonne le contrôle de la forme et de la matière en utilisant des techniques capricieuses comme la céramique. Le dialogue avec la sculpture intervient quand la plasticienne vient panser les plaies qu’elle a créé avec d’autres matériaux, comme le caoutchouc de Mm ! (2015) ou le polystyrène de Marie-Madeleine au rocher mou (2016). En mélangeant céramique, tissu, peinture, gré, végétaux ou encore polystyrène, l’artiste convoque des matières qui s’opposent et crée ainsi un tissu de tensions silencieuses. La céramique prend le dessus quand on balaie l’espace du regard mais indépendamment, chaque sculpture développe un combat interne dont on ne connaît pas la fin.

Gabrielle Wambaugh, vue de l’exposition Ambivalente Mmm et choux (détail), 2018, céramique, tissu et plumes© Gabrielle Wambaugh, ADAGP, Paris — Photographes : Laurent Friquet, Jean-François Rogeboz, Xavier Guille, photographe RMN

Dans la galerie, l’artiste construit un parcours d’œuvres obstruées par des panneaux de couleurs et de dessins, puis par des îlots de sculptures éparpillées, au sol ou sur des socles. La déambulation à laquelle nous contraint l’artiste est surprenante mais pas inhabituelle : Gabrielle Wambaugh joue avec la peur de son spectateur. La peur — dans un moment d’inattention pourtant très bref — de percuter une œuvre. L’appréhension est d’autant plus forte qu’il s’agit d’objets sculpturaux réalisés dans des matériaux fragiles qui se superposent avec un équilibre qu’on ne sait statique ou dynamique. Cette attention peut être anecdotique mais façonne et éveille notre rapport à l’espace, à la matière et au dispositif d’œuvres mis en place. Dans la plus grande salle, de grandes cimaises sont élevées et brisent l’espace. Si elles induisent un chemin, elles compartimentent également notre champ de vision en chapitres. Le même jaune qui grignote l’image de couverture du catalogue endigue l’espace de la galerie sous la forme de surfaces uniformément enduites. Une de ces élévations peinte en noir accueille un grand dessin réalisé à la craie. Il se caractérise par un motif récurrent dans le travail de l’artiste, celui d’un enchaînement de lignes verticales qui évoque une chevelure vue de dos. S’agit-il de La Sainte Marie-Madeleine (vers 1515) de Gregor Erhart observée de dos ? Quand on connait la fascination et la récurrence1 de cette sculpture dans son travail, une perspective conceptuelle et narrative se profile grâce à ce détail.

Comme le dit le titre de l’exposition Ambivalente, Gabrielle Wambaugh inscrit son propos et son art dans une forme qui se caractérise par son incapacité à être fixée : Marie-Madeleine est à la fois pécheresse et sainte. C’est cette même dualité qui vient contredire notre perception de la sculpture de Wambaugh.

Gabrielle Wambaugh, Mmm 2015

Le catalogue d’exposition déverse le texte d’un dialogue avec l’artiste aléatoirement intercalé par une compilation de vues d’exposition. Démesurément grands, les caractères s’écrasent presque contre les pages aux marges fines et rendent la lecture difficile. Un brouillage éditorial qui incarne dans l’autonomie même du livre certains des préceptes et des logiques de l’œuvre de Gabrielle Wambaugh. L’ensemble typographique du catalogue empiète sur un espace de façon égoïste — trop immense pour la page et disséminé — ; notre compréhension est parasitée.

En agissant de la sorte, Wambaugh oblige à reconsidérer le regard sur la sculpture en proposant une autre approche et en induisant d'autres possibles. Souvenons-nous juste de la dernière œuvre de Marcel Duchamps dont le titre était: Etant Donnés… 

Gilles Dalose le 6/02/18

Gabrielle Wambaugh Ambivalente -> 4/03/18
Galerie municipale Jean-Collet
59, rue Guy-Môquet 94400 Vitry-sur-Seine

See this content in the original post