L'AUTRE QUOTIDIEN

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Black and Proud, les Urban Riders de Philadelphie vus par Mohamed Bourouissa

Dans la post-vérité actuelle, il est possible d'entendre un Jupiter au petit pied annoncer la réouverture des chasses présidentielles, et par un effet retour bigarré, découvrir les écuries associatives philadelphiennes de Fletcher Street et leur concours hippique centenaire du ghetto. Mohamed Bourouissa, en direct de Philly ! 

Mohamed Bourouissa, Fairmount park, 2015

Le Musée d'Art moderne de la Ville de Paris offre sa première exposition institutionnelle française à Mohamed Bourouissa. Remarqué dans les expositions prospectives Younger than Jesus au New Museum à New York (2009) et Dynasty au Palais de Tokyo et au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris (2010), le plasticien franco-algérien, né à Blida en 1978, est un artiste majeur.

Mohamed Bourouissa, Demain c’est loin, 2017

Dès ses premières séries photographiques Périphérique (2005-2008) et Temps mort (2008) on pouvait observer les principes de son travail : ausculter la société par ses marges et ses pratiques collectives, là où la dimension humaine garde une place centrale.

Urban Riders, s’articule autour du film Horse Day réalisé à Philadelphie, dans le quartier défavorisé de Strawberry Mansion, au Nord de la ville et dont la réalisation a marqué une étape décisive dans son évolution. Durant ses huit mois de résidence, il s’est intéressé aux écuries associatives de Fletcher Street découvertes par les images de la photographe américaine Martha Camarillo. A la fois territoire de réparation et de cristallisation des imaginaires, fondées par des cavaliers afro-américains, les écuries de Fletcher Street accueillent les jeunes adultes du quartier et offrent un refuge aux chevaux abandonnés. Sans pour autant documenter une réalité, l’artiste s’est emparé de l’histoire du lieu, de l’imagerie du cowboy et de la conquête des espaces pour en montrer les enjeux et la différence d'avec l'imagerie western classique d'Hollywood. Pari réussi par le côté ethno à la Jean Rouch qui en englobe les pratiques,  les vies et les réussites, comme les échecs.

Mohamed Bourouissa, Sans titre, 2014

Au fil des mois, Mohamed Bourouissa s’est attaché à créer des conditions d’échange et de partage avec la communauté locale. Le film, de facture cinématographique, retrace ce projet. Il rend compte avec force d’une utopie urbaine. Fasciné par l’histoire de la représentation des cowboys noirs, il synthétise des questionnements récurrents : l’appropriation des territoires, le pouvoir, la transgression - et surtout l'humour omniprésent qui joue avec les codes en rebattant les cartes sur fond de rap et d'embrouilles du ghetto. Le film est bonheur en écran splité en deux à 90°.

Mohamed Bourouissa, Demain c’est loin, 2017

Par contre, il y a à redire de la scénographie qui fonctionne à l'envers avec Horse Day , la présentation des éléments qui accompagne le film d'un corpus de quatre-vingt pièces. Cet ensemble  d’œuvres graphiques traduit la liberté et la richesse du langage plastique de l’artiste. Croquis sur le vif, dessins préparatoires, story-board du film, collages, encres, aquarelles relatent l’origine du projet et son élaboration. En regard de cet ensemble, sont présentés des portraits de cavaliers et les costumes des chevaux. Prolongeant la métaphore du « tuning » des éléments de carrosseries sont agencés et deviennent le support des images du film. Et le problème du montage de l'expo est qu'on passe par les éléments de réflexion du film et des accessoires employés pour finir par se dire que cela est forcément en rapport avec ce qu'on va nous montrer - mais que c'est si bien inversé qu'on ne comprend pas au premier abord pourquoi on nous a parlé d'un artiste vidéo - si on n'arrive à la vidéo qu'en fin de parcours … 

Mohamed Bourouissa, Horse Day, 2015

 

Un peu comme s'il fallait justifier le travail montré par des prémisses - nous prendrait-on pour des crétins ? La question reste ouverte, mais le film est vraiment passionnant qui finit par s'imposer dans toutes ses dimensions. Les scénographes du  MAM sont-ils protestants à vouloir à tout prix nous imposer l'effort de ne pas comprendre le pourquoi avant de nous le révéler au  final ? J'ai du mal à comprendre et j'ai détesté ça. C'est dit ! 

Jean-Pierre Simard le 01/02/18
Mohamed Bourouissa Urban Riders  -> 22/04/18

Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris  11, avenue du Président Wilson 75116 Paris