L'AUTRE QUOTIDIEN

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Avec Johan van der Keuken, la BPI se découvre Cinémathèque du documentaire

Malgré les hauts cris de certains, Raymond Depardon en tête, qui ne trouvent pas la formule adéquate, la BPI de Beaubourg est devenue, le 17/01 dernier, la nouvelle Cinémathèque du documentaire. Elle ouvre sa première rétrospective avec le Néerlandais Johan van der Keuken qui durera jusqu'au 19/03 prochain. 

JVDK "On Photography as the Art of Anxiety" (2001)

Ouvrir avec le cinéaste de Vacances prolongées est un "acte symbolique, selon la présidente de la Cinémathèque du documentaire, la réalisatrice Julie Bertuccelli (Dernières nouvelles du cosmosLa Cour de Babel), qui posera les bases d'un projet qui n'est pas seulement tourné vers la production française, en montrant un documentariste étranger important dont il est nécessaire de montrer tous les films."

Soutenu par le ministère de la Culture et par divers acteurs du cinéma et de l'audiovisuel, largement porté par la Scam (Société civile des auteurs multimédias) et sa présidente d'alors, la réalisatrice Julie Bertuccelli, qui en a donné les premières impulsions, le projet d'une cinémathèque dédiée au documentaire avait été annoncé par Audrey Azoulay lors des Etats Généraux du documentaire à Lusas en 2016, et dévoilé par Françoise Nyssen, lors du dernier festival de Cannes. Prendre un lieu central comme le Centre Pompidou, et sa Bibliothèque Publique d’Information (BPI) pour adresse parisienne semblait alors logique, puisqu'il abrite depuis 40 ans les rencontres du film ethnographique, créé avec Jean Rouch, devenu le festival Cinéma du réel.

Destinée à promouvoir le documentaire et ses auteurs quand celui-ci gagne en visibilité depuis plusieurs années, avec des bons résultats pour certains films sortis en salles, un offre riche à la télévision, la création, en 2015, du prix L’œil d'or, au Festival de Cannes, qui récompense le cinéma documentaire et a distingué l'année dernière Visages, villages d'Agnès Varda et JR, et Makalad'Emmanuel Gras, et le lancement. Un contexte dans lequel a déjà émergé, il y a deux ans, la plateforme en ligne Tënk, dédiée uniquement au documentaire. Cette Cinémathèque du documentaire est présentée comme le moyen de passer, à l'étape supérieure, pour toucher le maximum de public et faire reconnaitre le documentaire et ses auteurs, en promouvant tous les types de productions et de formats, de tous les pays et de toutes les époques.

Ce projet doit faire face aux critiques de Raymond Depardon et de sa productrice Claudine Nougaret, qui ont pointé le danger de "marginaliser, d'isoler et de fragiliser" le documentaire avec cette Cinémathèque. "Le documentaire risque d'être séparé de la fiction avec la création de cette Cinémathèque du documentaire dans un coin du Centre Pompidou, et de se voir dévalorisé au profit de la fiction, à laquelle la Cinémathèque Française serait, elle, tout entière consacrée" comme l'explique Claudine Nougaret, pour qui "un film, qu'il soit de fiction, documentaire ou d'animation, est un film". Ils se sont, tous deux, opposé à ce que leurs films, "conçu comme des films de fictions, dans le même écosystème", y soient montrés, regrettant de ne pas avoir été conviés aux discussions et que le terme de documentaire soit "détourné". Des critiques que Julie Bertuccelli déplore, "espérant que Raymond Depardon et Claudine Nougaret finissent par mesurer l’intérêt de cette Cinémathèque", qui a reçu le soutien d'un autre auteur de documentaire: Nicolas Philibert (Être et avoirLa Maison de la radio).

La présidente de cette Cinémathèque du documentaire, relève, elle, l’intérêt que peut avoir ce lieu et ce projet pour permettre au documentaire "d'exister pleinement", alors qu'il occupe seulement une place parmi les autres genres du cinéma à la Cinémathèque Française et au Forum des images, qui n'ont pas le temps, ni la place d'en diffuser plus mais avec qui la Cinémathèque du documentaire souhaite, toutefois, travailler.

La Cinémathèque du documentaire compte être un "lieu ouvert à tous les publics, pour leur faire découvrir, sur le grand écran d'une salle de projection, l'histoire du documentaire, en faisant le pont entre l'ancien et le moderne" à travers 400 séances par an, soit au moins une ou deux par jour. Pour s'adresser à tous les publics, et en particulier les jeunes, elle proposera des tarifs très incitatifs: 4€ en tarif plein et 2€ en tarif réduit.

Johan van der Keuken - La Jungle plate

Au delà de sa vitrine parisienne, la Cinémathèque du documentaire veut essaimer en France, en s'appuyant sur un réseau d'une trentaine de lieux et salles de cinéma engagés dans le documentaire. La nouvelle institution souhaite "faire circuler les moyens et croiser les idées et les regards à travers la France, pour créer du lien politique et social avec le public", selon sa présidente, qui veut que ce projet fasse "converger tous les acteurs du documentaire, de l'audiovisuel et du cinéma, publiques ou privés."

Après ces quelques atermoiements publics et privés, venons-en au fait; à savoir que découvrir ou redécouvrir le travail de Johan van der Keuken, est toujours un bonheur, et je mesure mes mots. 

JVDK - Rencontre avec Alain Bergala 

Héritier et praticien de l'esprit de 68, il y a 16 ans disparaissait Johan Van der Keuken, l’un des grands cinéastes documentaristes. Cet « Hollandais planant » comme l’appelait le critique Serge Daney nous laisse en héritage une œuvre singulière, à la fois engagée dans son temps à la fin du XXème siècle, et universelle, à la fois documentaire et allégorique. 

Une liberté de ton sans pareil anime l’œuvre de ce documentariste néerlandais. Sa ville ou le monde, des enfants aveugles, des boîtes d’allumettes… ses images procurent un effet saisissant, dont l’influence fut déterminante pour de nombreux cinéastes et ses B.O., enregistrées par des musiciens de jazz et de free, sont tout autant impeccables; à ne jamais surligner le propos, mais s'y fondre pour les éclairer différemment.  

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Dès le début des années 1960, il se consacre à la réalisation de ses films documentaires, osant l'expérimentation, et imposant sa subjectivité. Filmant lui-même, il privilégie des plans souvent longs, des détails, jouant sur la répétition, le mouvement, il s'impose rapidement comme un cinéaste talentueux. Il devient populaire au milieu des 70's et ses travaux commencent à être montrés à Montréal et à Paris.
Outre la réalisation de très nombreux films, Van der Keuken publie plusieurs recueils de photos, organise des installations et des expositions (notamment à  Beaubourg en 1987), et dirige des séminaires dans de nombreuses écoles de cinéma en Europe et aux États-Unis.

Les films de Johan van der Keuken ont quelque chose d'organique. Dans une constante recherche, il réutilise ses images, les juxtaposent différemment dans différents films, il s'attarde sur le montage, pour en dégager un langage cinématographique qui devient sensoriel.  Nicolas Philibert dit qu'il y a chez lui « une grande disparité de formats, de formes, d'expériences. C’est un ensemble très dense, qui traduit une envie de goûter à tous les modes narratifs. Explorer des voies nouvelles, aller vers l’inconnu, c’est toujours à la fois ce qui nous fait peur et ce qui nous attire ».

Alors qu'il apprend en 1998 qu'il ne lui reste plus que quelques années à vivre, il consacre son temps à regarder et à écouter. Vacances prolongées, réalisé en 2000, traite de son combat contre le cancer. Il meurt l'année suivante.

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«Si je ne peux plus créer d'images, je suis mort», déclarait, il y a deux mois, Johan Van der Keuken, alors qu'il assurait la promotion de son dernier film: Vacances prolongées. Récit d'un long voyage autour du monde, de l'Asie (Bhoutan, Népal...) à l'Afrique (Niger, Burkina Faso...), de l'Europe (sa Hollande natale bien sûr) aux Amériques (Brésil, Etats-Unis...), entamé à l'initiative de sa compagne (et ingénieur du son) Noshka Van der Lely, en réaction au peu d'espoir que lui laissait la récidive foudroyante de ce cancer de la prostate qui le tourmentait depuis cinq ans. (Libé 2001) 

Si cela ne vous parle pas, vous ne lisez pas le bon journal… On y court. 

Jean-Pierre Simard (avec Beaubourg) le 19/01/18 

Rétrospective Johan van der Keuken à la Cinémathèque du documentaire -> 19/03/18
BPI
, centre Pompidou 75004 Paris 

Toute la programmation ici