L'AUTRE QUOTIDIEN

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Depuis l'au-delà de la connerie : Bernard Werber par Claro

Bon, on ne va pas tourner autour du pot: Bernard Werber sort un nouveau roman, un peu comme d'autres sortent leur chien, dirait-on. Le titre est assez prometteur : Depuis l'au-delà. On a déjà envie de décrocher son nécrophone, non? Mais à peine l'a-t-on ouvert, ce livre plein de pages imprimées, à peine en a-t-on commencé la lecture qu'on s'aperçoit qu'il ne s'agit pas d'un roman!

Non, c'est un manuel de rédaction. Bernard Werber a décidé de nous raconter comment il s'y prend pour écrire un livre haletant destiné à être lu par des yeux. Pour ceux qui douteraient de la chose, voici le tout début de ce mode d'emploi du bête-c'est-l'heure :

"A peine réveillé, l’écrivain Gabriel Wells bondit de son lit. Il a enfin trouvé en rêve la première phrase de son prochain roman. Une question simple, qui ouvrira le livre sur l’énigme du décès du narrateur.« Qui… m’a… tué ? »
Ce démarrage lui semble offrir un paradoxe qui va l’obliger à trouver une intrigue originale. Comment le héros peut-il s’exprimer s’il est déjà trépassé ? Comment a fortiori peut-il enquêter sur son propre assassinat ?
Excité par ce nouveau défi, Gabriel Wells ne prend même pas le temps de petit-déjeuner. Il sort de son immeuble et marche d’un bon pas pour rejoindre son bistrot habituel, Le Coquelet. Il y a laissé la veille son ordinateur, sorte de destrier électronique qu’il s’apprête à enfourcher comme chaque matin pour sa séance de galop d’écriture.
Il hâte le pas et se concentre sur la recherche de sa dernière phrase. Car pour lui, un roman n’est rien d’autre qu’une phrase d’ouverture – ce qu’on nomme dans son jargon « l’incipit » – qui conduit à une phrase de fermeture – « l’excipit ».

Reste à trouver le mécanisme d’horlogerie qui gouverne l’intrigue et doit aspirer le lecteur dans un système où il va s’enfoncer jusqu’à progressivement oublier sa propre vie pour ne s’intéresser qu’à celle du héros."

Certes, il y a bien une tentative pour accéder à une certaine dimension romanesque, et ce grâce aux belles et précises descriptions de la marche à pied qu'a ciselées le bijoutier Werber, servies par une richesse lexicale assez culottée: "marche d'un bon pas" et "hâte le pas". Certes, Werber ose des images assez radicales, par exemple quand il compare un ordinateur à un "destrier électronique", même si la vision de Werber enfourchant un MacBookAir fait un peu mal aux cuisses. Mais pour le reste on assiste bien à la levée d'un secret: Le romancier doit trouver un mécanisme susceptible d'aspirer le lecteur dans un système. On a presque envie de dire: un piège. Un mélange de tapette à souris et d'aspirateur. Mais surtout, une question cruciale est posée:

" Comment le héros peut-il s'exprimer s'il est déjà trépassé?"

Et un commentaire donné:

" Ce démarrage lui semble offrir un paradoxe qui va l'obliger à trouver une intrigue originale."

Oh, purée. Bref. Nanti de ces indications, vous aussi posez-vous une question à la con et tartinez trois cents pages dans la foulée. Inspiré, vous aspirez. C'est simple, non?

Cannibale Claro le 17/01/18