L'AUTRE QUOTIDIEN

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Bénin : Fabrice Monteiro dénonce le profit qui enchaîne l'homme

Le code noir (1685) 

Art 38.

L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lis une épaule; s’il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule; et, la troisième fois, il sera puni de mort.

L’histoire que se raconte un peuple sur lui-même dépend autant de ce qu’il choisit d’omettre que des souvenirs qu’il lui plait de garder. Mettons donc les pieds dans le plat avec cette série de portraits réalisée par le photographe Francis Monteiro, béninois lui-même par son père, à Ouidah, Bénin, avec des locaux convaincus de porter ces masques de fer réalisés par des artisans locaux (si facilement que c’en est effrayant, dit-il), d’après des documents d’époque. Ces masques furent utilisés, en Afrique et dans les plantations, pour punir les récalcitrants. Ce travail réalisé aussi près que possible des lieux du crime, Ouidah ayant été une des capitales de la traite des nègres, et avec des moyens locaux, rappelle plusieurs choses que beaucoup des acteurs de l’histoire ont préféré effacer de leurs mémoires.

1. Ce commerce des hommes date d’une époque où l’Afrique n’était pas encore colonisée (le Bénin, ex-Dahomey, ne le fut par la France qu’en 1902), et fit la fortune des royaumes locaux. Ouidah fut une ville prospère, d’où partirent un million d’africains vers le nouveau monde. Et son déclin date de celui de l’esclavage.

2. Il n’y a pas de commerce sans acheteurs. Nous fûmes ces acheteurs. Pour les français, souvent acheteurs en gros, en Afrique, puis revendeurs. Nantes, la Rochelle, Bordeaux, ne devinrent de belles villes, à l’architecture si extérieurement respectable, que grâce à l’argent amené par ce commerce d’hommes. Francis Monteiro a donc eu raison de faire préfacer sa série de photos par cet cet édit très ancien d’un roi de France sur le traitement des esclaves, de la marchandise.

3. Prospérité et compétitivité ne veulent pas dire progrès. Cet édit contredit celui du roi Louis X, qui disait magnifiquement : «Le sol français affranchit l'esclave qui le touche». C’était en 1315. Avant la découverte de l’Amérique et l’essor du commerce international.

Christian Perrot

Fabrice Monteiro - Marrons