L'AUTRE QUOTIDIEN

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Remington, le nouveau Moyen-Âge vu par une machine à écrire

« L’homme est une machine. La peau, la langue, les pupilles, les naseaux et les tympans sont les seuls outils sur lesquels il peut compter pour percevoir et comprendre le réel. » Préambule de Christophe Ségas à son nouveau roman, Remington

Le pitch : dans un futur revenu au Moyen Âge et à la barbarie, dans un monde où l’écriture et la lecture ont disparu, quatre témoins issus de communautés singulières (des chercheurs, des villageois, les fondateurs d’une secte…) font le récit de leur vie, tous œuvrant dans le sens d’un possible progrès en explorant de nouveaux mondes.  Cela ne surprendra personne : l’histoire se répète. D’orgies en meurtres fratricides, de trahisons en révolutions, Christophe Ségas ne nous épargne rien pour nous le prouver.

Remington, p. 11

Le fil du récit : Finies la modernité, la mondialisation et la technique : les sociétés humaines se sont effondrées. Une nouvelle ère historiographique s’est ouverte. Les humains vivent alors dans l’époque d’après le Flash, la Césure, le Klash, ou simplement Reset. L’appellation ne s’est pas encore fixée, les raisons de la chute sont inconnues. Seuls quelques rares archéologues tentent de déterrer les vestiges du passé.

Dans cette fresque post-apocalyptique signée Christophe Ségas, une machine à écrire de marque Remington, l’un des rares artéfacts que l’on tient du monde d’avant, voyage de mains en mains et de contrées en contrées. C’est sur ses touches et ses rubans d’encre bientôt asséchés que les chroniqueurs écrivent les mémoires des nouvelles épopées, des nouveaux empires, des mythologies et des errances qui se tissent. Dans l’après-Reset où les cultures se reforment, la parole volubile et la faculté à produire du récit inlassable demeure un invariable humain.

Christophe Ségas est né à Bordeaux en 1975. Après quelques jours de vie citadine, il s’est exilé au cœur de la plus grande forêt d’Europe. A dix ans, il avait découvre qu’un ordinateur TO7-70 correctement programmé était capable d’inventer des histoires cohérentes. L’imagination humaine avait donc vécu. A seize ans, par accident, il tombe dans Kerouac, Perec, Baudelaire, Cortazar. Un TO7-70, même supérieurement programmé, n’aurait jamais pu écrire de telles choses, se dit-il. Plus tard, enfin, il s'est mis à sérieusement écrire des récits. Avant Remington, il a publié des nouvelles dans les recueils collectifs des éditions Antidata, puis deux livres (Hors le Bourbier, Le Théâtre des Oiseaux) aux éditions du Chemin de fer.

A cheval entre la dark fantasy la plus sombre et le récit moyen-âgeux revu pour le XXIe siècle, sa prose pseudo-machinique a des accents de Burroughs pour le lyrisme désespéré et la sauvagerie manifeste; tout comme, il manifeste le ton des récits de voyages ethnographiques des meilleurs titres de la collection Terre Humaine de Plon. Avec Remington, le futur ne date pas d'hier, Il est hier. Le roman le plus glaçant lu dernièrement avec une maestria d'écriture caché sous les atours d'une fausse sécheresse de ton.

Jean-Pierre Simard le 29/05/17

Christophe Ségas, Remington - éditions le Nouvel Attila

Christophe Ségas