L'AUTRE QUOTIDIEN

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Naira Mushtaq fait parler les émotions avec ses objets

L'Artiste pakistanaise Naira Mushtaq, de Lahore, travaille sur la mémoire en lien avec les objets. En retravaillant des images d'albums de famille, elle en fait ressortir les émotions passées en les racontant différemment. A la recherche de sensations disparues, son travail est politique et elle se collette avec la situation du Pakistan avec un certain aplomb.

vecNaira Mushtaq, 09-09-1939, 2017, Oil on canvas

Mon travail consiste à étudier les relations entre un objet trouvé et les sentiments qu'il évoque, ce qui m'amène à le raconter envisagé dans un autre espace. Je déconstruis et je recadre des photos vernaculaires pour y signifier les structures familiales communes. Comme les albums de famille ont disparu avec l'avènement du numérique, ces fragiles témoignages deviennent des instantanés de notre passé collectif. Et je fais participer les gens desquels je tiens mes photos, les inscrivant dans le processus, et avec leur total accord.  

Mais, mon objectif principal est au-delà de de ces explorations familiales, à me demander ce que racontent ces histoires oubliées et ne quoi celles-ci ont pu changer avec le passage du temps.  Le temps y joue un rôle fondamental à dissoudre ces souvenirs, à les plier, les faire diverger, les dissiper même… Nos souvenirs ne nous laissent que des bribes de vérité, des fragments de nos actions passées.  Alors, le processus qui va de la découverte à la transformation de l'image sur la toile est un pas vers ce que cette image fut - et c'est très important.

La responsabilité du monde artistique est primordiale aujourd'hui, quand nous vivons des temps d'agitation politique qui ne sont plus limités aux frontières. Nous devons être vigilant, concentrés et dire notre fait au monde. J'ai un projet assez politique que j'aimerais réaliser, à ce propos.

J'ai une pratique artistique bipolaire (Jekyll /Hyde), d'un côté je me délecte de travailler sur la mémoire; et d'un autre je suis à l'écoute de ce qui se passe politiquement et j'ai très envie de réaliser des créations subversives qui vont contre les pratiques gouvernementales corrompues et népotiques. J'ai envie de projeter un message éphémère, façon signal à la Batman, sur les mur de la vieille cité de Lahore, affirmant une prise de position très subversive… 

Vue à vol d'oiseau de l'installation montrée dans un parc de Lahore. Parc fréquenté essentiellement par la classe ouvrière. Le déambulatoire circulaire est conçu à l'inverse des aiguilles d'une montre, en reprenant l'idée du pèlerinage à la Mecque où les pèlerins tournent ainsi autour de la Kaaba. Le mouvement ainsi créé est une sorte de révérence. 

Le centre de l'installation proposait au spectateur, après être sorti du cercle, de s'asseoir pour réfléchir et allumer un bâton d'encens en mémoire des disparus.

'Hum jo tareek rahon mein marray gaye' (we who were slayed in the dark alleys) (2015), est une installation publique dans un parc de Lahore. Son objectif était de signifier et se souvenir de nombreux actes de terrorisme commis au nom de la religion.

Naira Mushtaq n'est pas la seule artiste pakistanaise à faire évoluer les mentalités par son œuvre artistique. D'après elle, trois autres femmes méritent respect et attention , en ce moment-même, des amies à elle :  Amra Khan, Maria Khan, et Sehr Jalil

Plus sur l'artiste, ici

Je ne sais pas si vous êtes fans de la série The Leftovers, mais le travail de Mushtaq me rappelle beaucoup la démarche de cette superbe création, une des meilleures du moment, à tenter de récupérer le passé qui a fui par tous les moyens possibles, en lui redonnant brillance et contenu.

Jean-Pierre Simard avec Artslant le 19/05/17