L'AUTRE QUOTIDIEN

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L'artiste en son propre modèle ou vie d'ORLAN à la MEP

Aujourd'hui statufiée dans sa démarche, ORLAN (en capitales, puisque c'est le titre de son expo) n'a pas toujours été le corps transformé qu'elle affiche aujourd'hui en travail numérique. Mais que s'est-il passé pour que sa démarche la transforme d'un corps en transformation perpétuel en une seule propagatrice de l'image d'un corps ? Eléments de réponses à la MEP.  

© ORLAN / ADAGP

Dès ses premières œuvres plastiques ou performatives, ORLAN interrogeait le statut du corps et les pressions politiques, religieuses et sociales qui s’y impriment, particulièrement dans le corps des femmes. Son engagement, sa liberté, le féminisme font partie intégrante de son œuvre plastique, où elle défend des positions innovantes, interrogatives et subversives. ORLAN change constamment et radicalement les données, déréglant les conventions et les prêt-à-penser. Elle a choisi de questionner la fatalité génétique et les canons esthétiques assignés aux femmes dans notre société, de la période baroque aux cultures traditionnelles africaines, précolombiennes, amérindiennes, et chinoises.

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Évoquer ORLAN, c’est aussi bien sûr considérer l’ensemble magistral de ses opérations-chirurgicales-performances, très controversées. Comme le Baiser de l’Artiste, ces œuvres ont fait le tour du monde pour s’inscrire de manière pérenne dans l’histoire de l’art. Pourtant, en réduisant sans doute trop ces images — performances, photographies, films, etc. – à un phénomène artistico-sensationnel, on a longtemps parlé d’ORLAN et pas assez de ses œuvres en tant qu’œuvres d’art, fortes de plasticité et de concepts. Des photographies que leur puissance esthétique et subversive impose, et dont la signifiante irrévérence est aussi fraîche aujourd’hui qu’hier.

© ORLAN / ADAGP

Chaque œuvre est un manifeste, et certaines dialoguent avec des emblèmes de l’histoire de l’art : Nu descendant l’escalier (1965), ORLAN en Grande Odalisque d’Ingres (1977) ou encore sa réinterprétation de la Naissance de Vénus de Botticelli (Naissance d’ORLAN sans coquille, 1974).

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Dès les années 1960, cette artiste pionnière a mis de la figure sur le visage de l’art, et particulièrement sur celui de la photographie. La MEP a toujours soutenu le travail d’ORLAN, et est fière de pouvoir restaurer et reconstituer des œuvres qui n’ont pratiquement jamais été montrées. Panoplie de la fille bonne à marier (1981) ; Têtes à claques, jeu de massacre (1977) ; Déshabillage, habillage, réhabillage libres et changeants (1977) sont des pièces majeures, à taille humaine, collées sur bois puis détourées et utilisées dans des installations la plupart du temps interactives. Ce dispositif de mise en scène de la photographie rappelle la Naissance d’ORLAN sans coquille (1974) ou les effigies des « MesuRAGES » (ORLAN-CORPS brandit le liquide de rinçage, 1977-2012 ; ORLAN-CORPS, ICC d’Anvers, 1980), ainsi que le Baiser de l’Artiste, grande sculpture photographique (1976 au Portugal, 1977 à la FIAC Paris).

© ORLAN / ADAGP

ORLAN change constamment et radicalement les données, déréglant les conventions, les prêt-à-penser. Elle s’oppose au déterminisme naturel, social et politique, à toutes formes de domination, la suprématie masculine, la religion, la ségrégation culturelle, le racisme… Toujours mêlée d’humour, parfois de parodie ou même de grotesque, son œuvre provocante peut choquer car elle bouscule les codes préétablis.

© ORLAN / ADAGP

La Maison Européenne de la Photographie présente l’importante exposition "ORLAN EN CAPITALES" pendant le Mois de la Photo du Grand Paris. Son commissaire, Jérôme Neutres, a réuni plus d’une centaine de photographies, d’installations et de films. Il a choisi des œuvres capitales pour la compréhension de la démarche d’ORLAN.

© ORLAN / ADAGP

En artiste qui se réinvente sans cesse, ORLAN passe de la chirurgie du corps à la chirurgie des images dès la fin des années 1990, en initiant un travail reposant sur la technologie numérique pour créer de nouvelles formes d’autoportraits mutants. Déclinant de nombreux avatars digitaux d’elle-même. ORLAN développe des hybridations numériques qui ouvrent un nouveau champ de possibles à son univers artistique, inventant ainsi une nouvelle forme d’autoportraits hybrides dont la variété est illimitée.  ORLAN a reçu le prix de l’E-réputation, désignant l’artiste la plus observée et commentée sur le web. Son œuvre a une acuité très forte dans le contexte des questions artistiques et sociales d’aujourd’hui.

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Si sa démarche a été pionnière, à choisir la chirurgie à la place des costumes, comme Cindy Sherman, pour évoquer les mêmes sujets ; en portant son projet à faire évoluer son apparence à sa guise, on a pu croire un moment qu'elle avait inspiré Terry Gilliam pour Brazil… Et, de là son image s'est diluée car elle n'était plus la seule à se faire découper selon ses propres pointillés. A toujours défaire ensuite ses images et ses postulats créatifs sur la toile, elle est devenue l'ombre de la provocatrice qu'elle avait su être auparavant. Elle se retrouve, comme Ben, aujourd'hui, piégée dans la singularité première de sa pratique, qui, de fait, est devenue consensuelle, voire habituelle. Il ne lui reste que le statut "d'objet d'art" et il est visible à la MEP…

Jean-Pierre Simard le 24/04/17

ORLAN, en Capitales -> 18.06.2017
Maison Européenne de la Photographie - 5/7 Rue de Fourcy - 75004 Paris

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