L'AUTRE QUOTIDIEN

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Analia Saban questionne la peinture en détricotant la matière

Suite à une rencontre choc avec le galeriste René-Julien Praz, Analia Saban expose chez lui ses détricotages, peintures et installations. Le tour de la question redoutablement bien expliqué. Ici bas par l'intéressé.

Study for Erosion (Room) #3, Analia Saban, 2011

Imaginez une énorme pelote barrant l’entrée du studio. Une boule impressionnante composée de fils de chanvre provenant de l’épiderme de nombreuses toiles disséquées par l’artiste. Une sorte de tissu épithélial qui donnait à cette sculpture force et sérénité. L’uniformité de la pigmentation apparentée à une peau laissait entrevoir une sorte de tissu conjonctif, un derme papillaire dense donnant à voir la profondeur de la peinture. Cette vision fut celle que je découvris en visitant Analia Saban pour la première fois. Une rencontre totémique. Economie du verbe et du geste. Au travers de cette sculpture Analia Saban édictait ses règles qui allaient devenir force de loi.

Détricoter, diviser, déconstruire, dénouer, démanteler, parfiler. Saban n’a eu de cesse de chercher son propre Graal en analysant au fil de ses créations ce que la peinture, sa peinture, devait être. Un questionnement qui l’implique certes, mais bien au-delà de la peinture, sculptures, dessins, photographies n’échappent pas à son analyse, voire à sa vindicte, en poussant les limites et les capacités de chaque médium tout en faisant siennes les répercussions idéologiques au-delà des genres et types de travaux concernés. The Warp and Woof of Painting, titre de sa présente exposition, n’échappe pas à la règle. Une expression empruntée au langage des métiers de lisse qui véhicule également une locution utilisée comme métaphore pour souligner une structure sur laquelle une chose d’importance est construite. Analia Saban nous dévoile au sein de cette exposition ses nouvelles propositions. Une mise en perspective de ce procédé de tissage démultipliée en petites peintures, de vrais bijoux, des trésors.

Analia Saban, YTBT, 2017 Peinture acrylique cousue sur lin sur panneau — 20,3 × 20,3 × 3 cm Courtesy of the artist & Praz-Delavallade, Paris/Los Angeles

 

L’artiste s’exerce à nous montrer avec quelle dextérité elle joue à diversifier son œuvre, soulignant l’intime proximité entre l’acte de tisser cette peinture acrylique en l’imbriquant dans la toile. Un exceptionnel travail où l’intelligence de la main se conjugue avec la sensibilité du créateur, les œuvres ayant été réalisées sur un métier à tisser au sein de son atelier. De très jolis termes se rappellent à mon souvenir — navette, trame, bâton de cueillette, navette volante — des mots quasiment disparus avec l’ère industrielle, seuls les artistes ont encore ce pouvoir de l’évocation, Analia Saban est l’une d’entre eux.      (René-Julien Praz)

Friedrich Angel le 02/05/17

Analia Saban - The Warp and Woof of Painting → 17 juin 2017
Galerie Praz-Delavallade 5, rue des Haudriettes 75003 Paris