L'AUTRE QUOTIDIEN

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Laurent Chéhère offre un ciel à Ménilmontant

Laurent Chéhère a débuté sa carrière artistique dans une agence de pub. Après avoir réalisé des visuels pour Audi ou Nike, il a décidé de se consacrer pleinement à la photographie. Sa série Flying Houses l'a fait connaitre en Norvège, Russie et même aux États-Unis. Depuis Maurice Chevalier et les Négresses Vertes, le quartier de Belleville et de Ménilmontant, où vit Laurent Chéhère, n'avait pas connu un tel hommage.

Les flammes brûlent tout sur leur passage comme on fait table rase. Cet immeuble en feu serait-il aussi celui d’une renaissance?En feu – Photo : Laurent Chéhère

Le fait d’être né et d’habiter à Ménilmontant lui a fait côtoyer des bâtiments sans âge qui l’ont inspiré. Comme chacun de ses vieux immeubles avait une histoire à raconter, il les a sorti de leur rue triste et les a représenté flottants dans le ciel, uniquement rattaché au sol par quelques câbles. Les tableaux obtenus n'étant pas sans rappeler Le Château Ambulant d’Hayao Myazaki, une influence revendiquée.

Dans les profondeurs des faubourgs parisien le long d'un chemin de fer, ce petit hôtel pas cher, semble inspiré par les films d'avant-guerre de Marcel Carné et les fabuleux décors d’Alexandre Trauner. Un énorme graff montre Serge Gainsbourg, célèbre et subversif, poète, auteur et chanteur français. Il aurait peut-être pu raconter l'histoire la fille du 3e étage. Photo : Laurent Chéhère

De loin cette caravane semble voguer paisiblement vers un horizon dégagé. Certains romantiques y verront un immense besoin de liberté la guider, la vie de bohème, des enfants de la nature, un montreur d’ours, un magicien, les lignes de la main, Django Reinhardt, un violon, une boule de cristal, une guitare ou un mode de vie qui refusent de se soumettre à une quelconque autorité.

De près ce sont des gens qu’on expulse pour ce qu’ils sont : Roms, Manouches, Gitans, Romanichels, Tziganes, Bohémiens, Gens du voyage ou Voleurs de poule, peu importe leur nom, dans nos sociétés soi-disant modernes, ils sont rarement les bienvenus et suscitent beaucoup de fantasmes. Leur histoire est jalonnée d'épreuves et de persécutions. En Serbie comme en Roumanie, nombre d'entre eux fut esclaves jusqu'en 1850. Entre 1933 et 1945, les Nazis et leurs alliés ont persécuté, stérilisé, emprisonné, torturé, fusillé, et finalement gazé environ 500 000 Roms dans les camps de la mort. De nos jours, 40% d’entre-eux vivent en dessous du seuil de pauvreté, leur espérance de vie est la plus faible d’Europe, ils sont systématiquement instrumentalisés par les politiciens agitant la peur de l’étranger, victime de préjugé, d’expulsion, de racisme, de stéréotypes, de l’intolérance et de l’ignorance. Leur existence ballottée entre un nomadisme forcé et une sédentarisation imposée a fortement façonné l'identité de ce peuple. L'Europe va-t-elle mettre en pratique ses grands principes démocratiques et leur accorder enfin une véritable place? Pour le moment, nul besoin d'une boule de cristal pour prédire leur avenir, il est bien sombre... Entre magie et tragédie.Caravane – Photo : Laurent Chéhère

Flying House représente un important travail, notamment en ce qui concerne la lumière comme l’explique Laurent Chéhère : « Le cirque était compliqué parce qu’il a fallu photographier des éléments séparés (chapiteau, câbles, bâches, linges…) dans la même lumière. Ça prenait logiquement plus de temps. »

Il est inspiré d’un cirque poussiéreux échoué le long du "périph"; du cirque Zampano dans le film "La Strada" de Federico Fellini (1954); des photos noir et blanc de Bruce Davidson et surtout du chef d’oeuvre de Wim Wenders "Les Ailes du Désir" (1987). Ce film raconte une histoire d’amour impossible : "Dans le Berlin d’avant la chute du mur, juché sur l’épaule d’une statue colossale et observant l’humanité, un ange tombe amoureux d’une trapéziste". La poésie, la noirceur, le drame, l’amour, tous les ingrédients de la comédie humaine sont là. Mon ange à moi est joué par un clown triste. Déguisé en Napoléon, il fume une cigarette sur le toit enneigé du chapiteau.Cirque – Photo : Laurent Chéhère

Son inspiration est riche et variée, il aime les idées conceptuelles, la manipulation, la retouche, le photo-montage. Il crée des images originales. Ces inspirations, il a choisi de les réunir, surtout dans cette série qui porte son univers, son atmosphère, son histoire, tout ce que l'artiste a voulu y mettre, mais aussi tout ce que le public voudra y voir.

De loin, elle a des airs d’Arche de Noé, de près c’est un peu différent. Ces animaux n’ont aucune crainte à avoir de la montée des eaux, ils sont déjà mort et empaillés chez ce taxidermiste inspiré par la Maison Deyrolle, un ratier rue St-Denis et l’esprit des cabinets de curiosités du XIXèmes siècles. Au fond, derrière les papillons, le perroquet, le singe, l’éléphant, l’ours, le lapin, le lynx, le zèbre et la girafe il y a un personnage emblématique du réalisateur de film d’animation Hayao Miyazaki : Totoro... lui aussi empaillé. La vanité des hommes à vouloir figer la mort.Nature Morte – Photo : Laurent Chéhère

De loin, elle semble paisible, libérée de la ville. En s’approchant on découvre des migrants africains. Le coeur plein d’espoir et d’illusion, ils voguent vers un immeuble parisien aussi insalubre et surpeuplé que leur embarcation. C’est une métaphore de leur odyssée et prend un écho particulier avec la tragédie syrienne en mer Méditerranée.La Grande Illusion – Photo : Laurent Chéhère

Maxime Duchamps le 30/03/17

Les Maisons volantes de Laurent Chéhère

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