L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

Mapplethorpe inédit chez Ropac

Les lecteurs du Just Kids de Patti Smith sont déjà familiers avec les œuvres de Robert Mapplethorpe, des collages aux photo en passant par les sculptures, datant de la fin des années soixante qui avaient été rarement exposées auparavant. Représentatives de l’étendue des techniques utilisées par Mapplethorpe, elles démontrent son engagement dans une vision créatrice très personnelle tout au long de sa vie.  A enfreindre les règles ou à choquer, il a étendu la notion du possible de faire en art. Ces objets et collages reflètent une approche radicale et souvent provocatrice, ancrée dans le contexte socioculturel du milieu underground et gay new-yorkais de l'époque.

R. Mapplethorpe/ Untitled (Dollar Bills), 1973

Les premiers travaux de Mapplethorpe semblent habités par une puissance mystérieuse et poétique. Ils révèlent sa fascination pour des sujets tels que le mysticisme, l’ésotérisme et le fétichisme. Sur le plan du style et de l’iconographie, ils constituent un mélange étonnant entre les ready-mades de Duchamp et les divagations psychosexuelles de Dali. Passionné par les symboles et les motifs géométriques, Mapplethorpe réalise de nombreux collages et assemblages en recyclant — tout en les transgressant — des images religieuses. Il explore également des sujets plus sombres comme la magie noire ou l’art du Tantra et redessine des cartes de Tarot, en remplaçant l’iconographie classique par des figures masculines tirées de magazines pornographiques masculins.

R. Mapplethorpe / Untitled (Madonna medallion) 1968

Untitled (Madonna Medaillon), un collage de 1968 montre une image de la Vierge inscrite dans une architecture géométrique dessinée à la main. Dans un style rappelant le surréalisme, la figure semble léviter sur une forme organique qui évoque à la fois un coquillage et une coupe anatomique des organes génitaux masculins. À l’extérieur du cadre, un emblème en feutre représentant le Sacré-Cœur de Jésus montre l’intérêt de Mapplethorpe pour l’intégration d’éléments religieux dans une composition à connotation sexuelle.

Jay Kiss (1973) (image d'ouverture) souligne la dimension fétichiste de l’œuvre de Mapplethorpe. Sur une structure en bois peinte en rouge, un foulard de soie est accroché sous un portrait Polaroïd agrandi de son ami Jay Johnson. Relique d’un moment passé, le foulard correspond à celui que Jay porte dans l’image, où il est tendrement représenté les yeux fermés. La composition novatrice rappelle celle d’un ex-voto, habituellement offert en signe de gratitude ou de dévotion dans un contexte religieux.

R. Mapplethorpe / Untitled, 1983

Untitled, une pièce géométrique de forme triangulaire réalisée en 1983, révèle la fascination de l’artiste pour la perfection formelle, et notamment pour la symétrie. Comme il le raconte à la critique Ingrid Sischy : « L’église est un endroit magique et mystérieux pour un enfant. Cela se voit encore dans la manière dont j’arrange les choses. Ça ressemble toujours à de petits autels. À chaque fois que j’essaie de mettre des choses ensemble, j’ai remarqué que je les plaçais de façon symétrique ; cela s’est toujours passé ainsi

Mapplethorpe fait précéder son nom du symbole X, jouant ainsi sur l’ambivalence autant pornographique que religieux de ce symbole. La sobriété de la composition qui se décline en bandes de feutre coloré donne une dimension mystique à ce qui peut être lu comme un autoportrait abstrait.

De 1963 à 1969, Mapplethorpe fréquente le Pratt Institute à Brooklyn où il étudie la peinture et la sculpture ; il en sort diplômé en Arts Graphiques. Au cours de ces années de formation, il produit de nombreux dessins et collages ainsi que des sculptures utilisant toutes sortes de matériaux. En 1971, il commence à utiliser un appareil Polaroid et inclut progressivement la photographie dans ses collages, ainsi que des extraits de livres et des coupures de magazines. Mapplethorpe aime l’instantanéité et l’intimité de ce nouveau medium qui contribuera à définir son vocabulaire. Ce n’est seulement qu’à partir de 1975 que Mapplethorpe commence à travailler exclusivement avec la photographie, lorsque le commissaire d’exposition averti Sam Wagstaff, également son mentor et amant, lui offre un appareil Hasselblad 500.

Considérée aujourd’hui comme une part essentielle de son œuvre, ces premiers travaux ont récemment faits l’objet d’une acquisition par le J. Paul Getty Museum et le Los Angeles Country Museum (LACMA). En 2016, les deux institutions ont organisé la plus grande rétrospective de l’artiste à ce jour. Le catalogue Robert Mapplethorpe: The Archive publié à cette occasion par le Getty Research Institute est le premier ouvrage entièrement consacré à cette période.

Ce que l'exposition ne raconte pas - ce n'est pas son propos - c'est que les amants Robert et Patti essayaient de nombreuses choses ensemble, dont il reste peu de traces aujourd'hui, dans leur quête d'une passion qui soit viable 24/24h.  Et qu'ils ont testé ensemble du collage à la sculpture afin de mélanger au plus près leurs univers pour coller d'abord à la contre-culture de l'époque. Patti se trouvera dans l'écriture et Robert dans la photo, mais à ce moment-là, ce n'était pas le propos. 

Friedrich Angel (avec galerie)

Robert Mapplethorpe - Objects -> 29 avril 2017
Galerie Thaddaeus Ropac - 7, rue Debelleyme75003 Paris