Christophe Gin : La Guyane en noir et blanc, onirique et révélateur
La Guyane est la plus vaste région française. Sur ce territoire coexistent le centre spatial guyanais et une immense zone forestière. Des frontières passoires dans une forêt équatoriale incontrôlable, une ruée vers l’or qui dégénère en Far-West tropical, des ressortissants étrangers réduits à l’illégalité ou encore une population amérindienne intégrée dans une logique républicaine forcée, maintenant acculturée transforment cette partie de la République, soumise en principe aux mêmes lois que la métropole, en zones de non-droit.
Enfer social vu de métropole, il est malheureusement très facile de réduire la Guyane à cette caricature.
Pour ma part, après avoir travaillé dans la région depuis ces quinze dernières années, j’appréhende plutôt la Guyane comme une mosaïque de zones d’exception, souvent régies par des codes et des lois qui leur sont propres. Dans ce contexte, le droit républicain reste une vue de l’esprit, là où droits d’usage, droits coutumiers et droit français cohabitent et parfois s’opposent.
Publié en 2016 chez Kehrer, « Colonie » est ainsi le fruit du travail le plus récent du photographe Christophe Gin, aux débuts fort remarqués avec « Nathalie conduite de pauvreté 1994-2001 », œuvre hallucinante suivant au plus près pendant sept ans le quotidien d’une jeune femme se débattant pour survivre en France à la frontière de la misère. Après plusieurs longs séjours en Guyane et plusieurs séries de travaux qui y furent consacrés, cette dernière collection en date regroupe 58 clichés pleine page, assortis d’un bref texte de présentation générale, de mots d’accompagnement d’Édouard Carmignac (le travail a remporté le prix 2015 de photojournalisme de la fondation éponyme) et de Christophe Deloire (le secrétaire général de Reporters sans frontières) et d’un cahier bilingue séparé situant chacune des photographies dans son contexte géographique et humain.
Somptueux travail en noir et blanc « charbonneux » selon le mot d’Édouard Carmignac, noir et blanc très singulier auquel on doit reconnaître par ailleurs une étonnante capacité à saisir les flots tumultueux, à noter les brumes et à cuivrer les peaux, « Colonie », concentré sur six communes de l’intérieur guyanais, entre Oyapock et Maroni, nous offre un extraordinaire document, permettant de s’approprier intimement une atmosphère très particulière, celle de ces confins forestiers équatoriaux où le légal et l’illégal sont étroitement enchevêtrés, où le meilleur et le pire cohabitent furieusement, celle de ces artères fluviales dont le rôle vital et symbolique habite littéralement aussi bien les narrations brutales du Brésilien Edyr Augusto, depuis son Belém pas si éloigné, de l’autre côté de l’Amazone (et tout spécialement son dernier roman en date, l’excellent « Pssica »), que les plongées puissantes, au Guyana presque voisin, de Wilson Harris, dans « Le palais du Paon » ou dans « L’échelle secrète » – et qui donne encore plus envie d’aller aussi voir de plus près les romans policiers de Colin Niel.
Un travail impressionnant, à la fois envoûtant et interrogateur, comme le signalait à très juste titre Magali Jauffret dans L’Humanité.
Charybde2
Colonie de Christophe Gin aux éditions Kehrer