L'Orient voyage du Caire à Jérusalem rue Malebranche
Galerie Malebranche un vernissage réunissant Bernard Guillot et Didier Benloulou, sur deux visions de l'Orient, deux villes, Le Caire et Jérusalem, noir et blanc pour Bernard Guillot et couleur pour Didier Ben Loulou, affole un peu les compteurs avec deux façons de vivre et de photographier réel et surréel, en prise avec ces territoires urbains, pétris d'histoire et de feu.
Cette analogie est écrite par le feu et la pierre, littéralement, par la couleur dans Jérusalem, objectivée, captée par le regard de Benloulou. La pierre et le feu, la résilience de la lettre hébraÏque côtoient dans les rues de la ville le silence et passent la mort par le corps juvénile des enfants jouant, bruyants de la promesse de demain, portants à travers leur ombre, ce précis d’humanité, au bord de l’affirmation ou de l’évanouissement: vaste question qui ne cesse de hanter le photographe aux prises avec l’héritage sacré de la tradition hébraïque et sa propre modernité, exprimée ici dans un dialogue entre l’immémorial et la présence. Au fond Benloulou n’en finit pas de s’inventer au delà de lui-même, en faisant acte de présence à ce qui lui échappe paradoxalement et dont il sent confusément la puissance d’attraction. Il relie les méditerranées, périple ulysséen où se joue la réceptivité de sa photographie. N’est-il pas une plage où viennent s’échouer les rêves brisés et l’éternelle senteur des soleils orientaux. Regarder le schisme qui travaille toute la société israélienne et surprendre sur la peau de Jérusalem toute la vie, toutes les vies par lesquelles émerge sa composite humanité. Qu’on se souvienne d’Israël Eighties, publié il y a peu à La Table ronde.
Le corps de Jérusalem s’étend au delà de la vision photographique, des preuves rapportées du réel, au-delà de la présence et de sa vie, par la pulsation incessante de cette promesse augurale de la Jérusalem éternelle, creuset des monothéismes, appel d’un sacré qui, aujourd’hui se vide, et pourtant se révèle au photographe dans l’interstice des présents. Il ne peut y avoir un seul présent, et pourtant tout se résume parfois à cette fraction de seconde où se signe le rêve de l’Immémorial. Jérusalem, traduite aujourd’hui en putain respectueuse, s'abime dans le mariage de l’argent et du politique, se désertifie, s’abîme en elle même. Il n’y a que la pulsation des vagues sur la plage pour retenir l’écoute et préserver les rues où se jouent les apparitions, disparitions de ces dialogues qui firent la ville...
Le sacré a fui, la loi est respectée à la lettre, schématiquement sans doute, abusivement, les religieux interprètes ont abandonné l’esprit pour la rigueur sclérosante, c’est pourquoi une nécessité fait oeuvre chez Benloulou, préoccupation majeure. Il écrit dans Chroniques de Jérusalem et d’ailleurs, pages 240, 241,: “ Comment font ils, tous ces religieux en noir, ces obscures silhouettes dont la présence est de plus en plus obsédante dans Jérusalem pour croire avec autant de dévotion et de ferveur?” Il confie sa fascination pour cette dévotion métaphysique, son envie presque d’y succomber, mais voilà, cela lui reste interdit… et pourquoi? La suite est éclairante, quelques lignes plus loin : “Je comprends mieux le travail que je mène sur les lettres et sa différence d’avec mes autres projets sur Jérusalem ou Athènes. Les lettres me sortent de ce monde et du temps”, on pourrait ajouter que le système du photographe fait que par nature et retour de sa liberté de voir, d’entendre, se joue cette liberté au coeur, la question de l’espace et du sacré au centre de sa photographie. Son énonciation est d’ordre analogique et symbolique, il perçoit l’invisible sous le visible.
Le rêve seul, celui de la colombe entre les mains d’une enfant (tirée du livre Jérusalem) a ce pouvoir d’accorder l’innocence au sacré, afin de réenchanter les rues de la cité et la vie, faisant du travail photographique de Didier Benloulou une lecture symbolique et moderne d’une alliance ou d’un schisme, guerre et paix s’offrant alternativement comme un temps fractal. Les réponses trouvées s’exposent poétiquement sur les murs de la galerie, puissantes et poétiques, la trace de tout système s’y est inscrite.
Encore faudrait-il écrire sur les cris et la fureur de la ville qui s’enflamme périodiquement, bande son improbable de l’hystérie des religieux et de la violence permanente, (tordre l’esprit de la lettre par sa forclusion dans la Loi, un système fermé) qui suinte désormais des murs en permanence, croira-t-on. c’est là, à cet endroit que son écriture photographique interroge la puissance des images venues en Messie à son regard. Ne sont-elles pas ce messager vivant de l’esprit fait chair?
Homme ! libre penseur ! te crois-tu seul pensant
Dans ce monde où la vie éclate en toute chose ?
Des forces que tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous tes conseils l'univers est absent.
Gérard de Nerval Les Chimères
Bernard Guillot, par ces noirs et blancs, signe une approche plus intimement pacifiée, poétique aussi, une lente remontée des images se fait alors en lui par l'harmonie secrète, éveillée des mystères de l'Orient, (Nerval en quelques points est un parent, un "frère" me confiera-t-il), de cette lumière intérieure liée à la grande tradition romantique et orphique.
Le peintre-photographe expose ici à travers les murs et les traces archéologiques, les éléments d’architecture où s’aperçoit le triangle des frontons des temples grecs et ou surgit ce “connais toi toi-même", comme pierre angulaire d’une démarche philosophique qui traversa les siècles depuis les pyramides (le triangle équilatéral), aux messages toujours actifs, pour qui sait écouter et voir. Car tout est là, que voyons nous vraiment, quel est notre lien au réel, à quoi servent nos sens, s’ils ne sont pas ouverts à la lumière et à la connaissance? Notre sensibilité brute est-elle à même et librement de s’éprendre du réel, voyage-t-elle au coeur du mystère du monde, s’épanouit-elle de de la pulsation enchantée de la nuit, sait-elle s’enchanter elle même de l’ouverture au regard, de l’éveil de l'être. Il faudrait ici citer le créateur de Sylvie pour mieux comprendre et percevoir Bernard Guillot :
” Crains, dans le mur aveugle, un regard qui t'épie :
A la matière même un verbe est attaché...
Ne la fais pas servir à quelque usage impie !
Souvent dans l'être obscur habite un Dieu caché ;
Et, comme un oeil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres ! “
Gérard de Nerval
En quelques points, ces photographies parlent d’architecture, du sacré et de l’Immémorial, de cette connaissance, si chère aux romantiques, à Goethe, Nerval, en particulier, quand les équilibres se construisent et que tout ce travail intérieur d’essence poétique et lumineuse s’est fait, le regard du photographe s’accorde à l’esprit majeur du temps, enfin VOIT l’équilibre en toute chose, en une fraction de seconde. C’est dire qu’il a su traverser ses enfers et y retrouver son Eurydice, et que de son amour perdu il revient au jour, dans une renaissance ou tout s’est accompli. Il lui reste AUSSI à accomplir le monde dans sa vision… ourlée, irradiante, irradiée et nimbée de l’Autre lumière, immanente. Ce processus est assez différent de celui qui taraude en permanence Didier Benloulou, toujours en équilibre au dessus des enfers, Bernard Guillot, en est revenu, l’œil plus profond que jamais, la paix flottant sur son âme en colombe douce et heureuse.
Orphée en tous point est un symbole du Génie, ce Dieu caché dont parle Nerval, son Eurydice est le symbole que porte son nom dont l’étymon signifie “vaste Justice”. La Justice est représentée par la balance -Libra en latin- dont les plateaux sont en équilibres, “equi-libra”, ce qui donne ensuite la liberté par l’harmonie, ou l’harmonie dans la liberté. Cette dialectique est ici vivante, éprise de sa vastitude qu’elle en change la nature physique de la lumière, lumière méta-physique dorée à l’aune de cette proportion dont sont faites les pyramides e,tre autres…. et le monde s’ouvre à la présence par le regard. C’est pourquoi un enchantement se fait, dans la grande tradition romantique, rendue parfois surréalisante (les surréalistes sont des romantiques) dédiée à la présence et au monde que conjuguent si bien la photographie de Bernard Guillot.
Nous sommes avec lui dans l’Or du premier matin, dans l’Argent de la lune, du côté de cet imaginaire qui conçoit et résout… et les contes philosophiques s’éprennent alors de ce Génie, humoriste au sourire gai, du Gai Savoir, faisant entrer l’autre dans un compagnonnage du regard, à la pointe d’une Terre Promise et enfin trouvée. Bernard Guillot a su renouer, au Caire, avec l’esprit qui est au-delà du temps...
Entre l'approche éclatante de la couleur et des tirages Fresson de Benloulou et celle, élégante et magique de Bernard Guillot, portée par l' héritage de Gustave Moreau, des surréalistes et de leur sens poétique, on pense à Éluard entre autres, un dialogue savant et secret s'épanouissait entre les deux oeuvres. Deux modernités, l'une plus contractuelle et débordante, conquérante, ouverte à l’infini de la question juive, en couleur, l'autre magnétique et métaphysique, plus secrète, douée de l'esprit issu en quelques points de l'esprit des bâtisseurs des pyramides, quand l'onde du mystère appelle une soif particulière et qu’elle en promulgue la Loi.
Pascal Therme le 20/12/17
Le Caire-Jérusalem de Didier Benloulou et Bernard Guillot -> 27/01/17
Galerie Malebranche - 11, rue Malebranche 75005 Paris
Pascal Therme : photographe professionnel de reportages, vit et travaille à Paris.