L'AUTRE QUOTIDIEN

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Quand Malick Sidibé twiste à Saint-Cartier

« Belles, belles, belles » est le titre qu’on découvre en pénétrant dans dans la fondation Cartier pour y voir, revoir ou découvrir les images en noir et blanc que Malick Sidibé expose jusqu’en février. Les tirages argentiques des années 2000 leur offrent un grain et une fraicheur authentique alors qu’elles datent pour la plupart des années 60 et 70. Mali Twist ! 

Sidibé / Maniere

Mon père fait un couscous ce matin… Belle idée, depuis 8 heures il met les 33 tours des plus grands succès de Richard Anthony (on ne dit pas encore Best Of), du Claude François de « Salut les copains » et de Franck Alamo. Aucun ne manque à l’appel. J’ai les yeux ouverts depuis 7 heures, de toute façon. Autant écouter la musique et le son des casseroles au lieu de  tenter de se rendormir. Ce qui semble impossible à l’écoute du twist infernal de « Belles, belles, belles »… comme le jour.

Sidibé / Maniere

André Magnin a eu la très belle idée de scénographier les photos au coeur d’une playlist 60's, à moins qu'il ne s'agisse du contraire. Une période durant laquelle Malick Sidibé va avec son appareil, saisir les jeunes couples de danseurs de twist maliens épris de liberté et de musique occidentale. Il les suivra aussi pour des séances photos au bord du lac, où cette même jeunesse s’ébrouera dans l’eau dans une mixité absolue, bravant les tabous et les « on-dits ».

Ces portraits saisissants nous apparaissent d’une grande modernité et nous plongent aussi dans une nostalgique pensée, celle de tous les possibles : 68 et la liberté résonnent en France, l’émancipation pour le Mali est encore loin, malgré le coup d’état le 19 novembre de la même année. L’ambivalence de cette histoire est toujours présente dans les photographies de Sidibé.

Sidibé- Maniere

Plus particulièrement dans celles qu’il prend des maliens dans son studio.« La composition, le travail dans le studio, c’est ce que je préfère » peux-t-on lire en exergue sur une des cloisons de l’expo, et cela se voit ! Les poses sur ce fond rayé, crée de véritables symboles incarnés par des maliennes et des maliens profondément heureux de se trouver devant l’objectif ! Une forme d’insouciance qui cache la forêt d’inquiétude qui saisit le pays. Ce pays coupé en deux malgré lui (ses frontières ont été de(cidées)ssinées par la France en partie) un brassage de peuples issues des tribus diverses et très variées. Malick Sidibé est d’origine de l’une d’elle, les Peuls. Son regard n’en est que plus aiguisé. Il sait avec un détail vestimentaire, un accessoire, une prise de vue un peu appuyée, faire apparaître la personnalité intérieure du sujet. Et ce qui pourrait sembler un artifice, devient photographie de l’âme ! Il faut prendre le temps de lire les légendes écrite de la main de l’artiste pour se persuader, avec lui dans un sourire, de la justesse de la composition qui rendait très fiers les modèles du jour.

Sidibé / Maniere

Son studio est un lieu symbolique au Mali, la chanteuse-rappeuse Inna Modja en à même fait le décor de 2 clips vidéos. Cette popularité internationale ne rend pas son travail moins intéressant, bien au contraire !

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Il est comme ces goûts d’enfance que l’on recherche toute sa vie durant, ces plaisirs de parfums et de sons qui envahissaient nos heures à la maison, en attendant les invités pour le repas dominical. On craignait de s’y ennuyer, on s’y ennuyait un peu parfois, mais les souvenirs durables sont des stigmates joyeux de nos présentes existences. Le regard que l’on pose à présent sur ces images, pour certaines mille fois vus, ont le pouvoir de convoquer ce genre de souvenirs et de provoquer une immense joie.

Joie encore, que André Magnin tient à partager, avec l’installation du studio de photo de l’artiste Fatoumata Diabaté en plein milieu de la grande salle, et c’est elle qui vous prendra en photo dans les conditions proches de celui de Malick Sidibé. Pas d’imitation ici, mais un hommage subtil dans une vraie belle ambiance chaleureuse, conviviale, où l’on se « dessape » en chœur, et l’on se « sape » avec les costumes d’époques, les accessoires et les poses feront le reste. C’est à dire : tout ! Même si vous ne prenez pas le temps de vivre cette expérience vraiment très agréable (il faut aussi une jolie dose d’insouciance pour se déshabiller et se rhabiller à la Fondation Cartier), vous assisterez au travail de l’artiste et vous vous approcherez d’un contexte que l’on imagine semblable dans le studio original de Bagadadji. On peut toujours rêver !

Richard Maniere et Jean-Pierre Simard par Fatoumata Diabaté le 3/11/17

Le dialogue que créé la playlist (symbolisé par un écran dont l’onde sonore est visible) audible dans toute l’expo permet une déambulation très douce et dansante à la fois. On se surprend à fredonner Nouvelle Vague comme si on la connaissait depuis toujours (ce qui est le cas), tout en jurant voir les danseurs twister comme des fous. La grande rigueur de l’accrochage, la qualité des rapports entre écrit et visuel, nous submerge et nous enveloppe au son de la voix de Malick Sidibé, dont le film est diffusé dans les conditions d’une projection cinématographique en bas de l’expo. Là encore, toutes les images portent une fascination qui ne jamais ne lasse. Tout au bout de la salle, une constellation de photos de petits formats nous accueille et poétise notre regard sur Bamako. L’autre très belle idée, (décidément l’expo en regorge), c’est d’avoir exposé les planches que Sidibé faisait dès qu’il terminait son travail, sur du papier cartonné, en vieux rose, vieux bleu. Là, il collait, inventoriait, numérotait la totalité des clichés. Le trouble que créé ces planches est une véritable douceur,  ressenties à imaginer le photographe faire ce travail patiemment, choisissant les clichés qu’il considère justes.

Sidibé / Maniere

Cela a beau twister le dimanche matin à la maison, il en reste pas moins le plaisir de se lever et se préparer pour attendre les invités qui se délecteront d’un couscous hors norme, arrosé de Sidi Brahim que je n’aurai pas le droit de boire. Je ne savais pas alors où se trouvait le Mali, pays frontalier de l’Algérie d’où mon grand-père est natif… Les liens que tissent les souvenirs avec le présent sont parfois curieux, souvent fragiles, mais toujours sensibles. Malick Sidibé twist à la Fondation Cartier, et il faut aller se déhancher pour capter et attraper un peu de ce regard si juste et bienveillant sur l’humanité qui rêve de vivre simplement « bien habillé » et toujours en dansant !

Malick  Sidibé - Mali Twist - > 25/02/2018  
Fondation Cartier 261, boulevard Raspail 75014 Paris 

Mali Twist, le catalogue, éditions Xavier Barral .Versions française et anglaise
300 reproductions couleur et noir et blanc. Textes de André Magnin, Brigitte Ollier, Manthia Diawara, Robert Storr et Malick Sidibé.

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-> Pendant toute la durée de l’exposition, les Soirées Nomades invitent des artistes, des musiciens et des penseurs maliens, toutes générations confondues, à dialoguer avec l’oeuvre de Malick Sidibé. Concerts, bals populaires, marionnettes traditionnelles, studio photo ambulant ou encore rencontres autour de la musique et de la danse viendront rythmer l’exposition comme autant de projets et de voix faisant écho à la joie de vivre qu’inspirent les photographies de Malick Sidibé. ( le programme en cliquant sur l'URL)