L'AUTRE QUOTIDIEN

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La ballade crépusculaire de Sheeva et du Professeur

Il était une fois une jeune fille candide perdue du côté obscur, un monde inexploré et quasi désert. Recueillie par une créature maudite qu’elle appelle « professeur », la jeune Sheeva ignore tout du danger qui l’entoure. Sans jamais se toucher, par crainte de transmission de la malédiction, ces deux-là vont tisser des liens forts.

L’Enfant et le Maudit scotche dès la couverture par une bonne claque graphique. L’auteur va ensuite développer par petites touches un récit à l’ambiance vaporeuse, où lumière et ténèbres s'entrechoquent pour créer une aura mystérieuse. Très inspiré par la littérature enfantine, l’auteur développe une fable onirique entre Charles Perrault, Tove Janson, Gustave Doré et Tim Burton. Du classique moderne qui dépote féroce.

Récit allégorique universel à plusieurs niveaux de lecture, L’Enfant et le Maudit dépasse le simple cadre de la bande dessinée. Le trait griffonné de Nagabe offre un jeu de contraste saisissant aussi  fouillé que vivant. Il retranscrit avec une prodigieuse minutie toute l’émotion d’une scène, avec cadrages, angles de vues, regards, jusqu'aux silences palpables.

Dans ce monde et dans un coin reculé de la forêt, Sheeva est une petite fille de l'intérieur qui vit avec "le professeur", créature monstrueuse qui prend soin d'elle. Elle, qui espère voir revenir une adulte qui lui est chère. Sans pouvoir se toucher, ils vivent ensemble dans un univers où il était écrit que tout les séparerait. Et pourtant, le Bien et le Mal ne se résument pas à une unique différence de couleurs (ou de pays).


Le jeu du rapport entre noir et blanc dans les planches du livre donne un très beau résultat, les personnages sont attachants : une petite fille pleine d'innocence et de naïveté; un peu comme une Alice qui aurait remplacée le lapin blanc par une créature à cornes, dont le visage rappelle le museau longiligne des dragons, ou la pilosité des faunes de certains de nos contes. Nagabe arrive à mettre en place une intrigue et une ambiance qui envoutent, à  tel point qu'on est happé par les pages, comme on n'arrive pas à décrocher ses yeux d'un univers de Tim Burton.
Le genre de scénario que l'on lit avec un plaisir paradoxal : "vite, vite, vite, je veux connaître la suite" mais "vas-y doucement, tu vas encore lire trop vite et être triste quand ce sera fini". 

Friedrich Engels le 1/12/17

L’Enfant et le Maudit de Nagabe, éditions Komikku