L'AUTRE QUOTIDIEN

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On Kawara : quand un artiste crée son quotidien avec les "date paintings"

Artiste nippon majeur du mouvement conceptuel, On Kawara l'a initié avec "Title (Viet-Nam)" et "Location" dont Joseph Kosuth fût le premier propriétaire, ses premières réflexions sur la problématique de l'art conceptuel. La première oeuvre est un triptyque qui annonce la présence d'un objet ("one thing") rattaché à une date ("1965") et à son lieu ("Viet-nam"), tandis que la deuxième est un simple énoncé de coordonnées géographiques nous invitant à visualiser un site localisé très exactement à 31°25 de latitude Nord et 8°41 de longitude Est. 

Les Date Paintings apparaissent pour la première fois le 4 janvier 1966, ce sont des peintures réalisées dans une adéquation parfaite, les jours mêmes des dates inscrites sur la toile. Malgré une facture mécaniste qui leur fait perdre en identité ce que la série gagne en tant qu'oeuvre (l'intitulé de chaque Date Painting est Today Series 1966 -), tout les oppose aux pratiques conceptuelles : leurs dimensions sont spécifiques, les toiles aux couleurs subtiles sont peintes méticuleusement par l'artiste lui-même, elles sont d'une très grande fragilité et dans l'éventualité désastreuse de quelques manipulations maladroites, non seulement toute restauration se révèle impossible, mais l'oeuvre étant signée des plus classiquement au dos, il ne peut être question de la remplacer de façon standard. 

Face à tant d'affectation, On Kawara se devait d'adjoindre une contrepartie de l'ordre du constat, c'est pourquoi chaque tableau est conservé dans une boîte en carton contenant une coupure de presse qui informe du lieu et de sa date de réalisation. Beaucoup plus logiquement, ce fragment de l'actualité suffirait à lui seul mais c'est la Date Painting, objet du culte voué au temps et proche du tableau traditionnel, qui a la place d'honneur sur les cimaises du Musée. 

Aujourd'hui, fin 2017, retour sur l'œuvre chez Mfc-Michèle Didier avec une présentation de livres,  trois ans parès la mort de l'artiste. Contrairement à I Got Up, I Went et I Met constitutifs de la Trilogie et publiés respectivement en 2008, 2007 et 2004, I Read de On Kawara n’est pas un « daily work » mais est une œuvre connexe à la Today Series, œuvre regroupant l’ensemble des Date Paintings réalisées de 1966 jusqu’à la veille de la mort de l’artiste survenue en 2014.

Si I Read commence également en 1966, l’œuvre marque toutefois un arrêt en 1995. On Kawara s’accordera cependant de la poursuivre jusqu’à sa mort. C’est pourquoi, Mfc-Michèle Didier publie I Read post mortem, respectant ainsi les dernières volontés de l’artiste.

I Read prend la forme d’un set de 6 volumes. Sur chacune des 3 272 feuilles de papier ligné d’ I Read, On Kawara colle minutieusement et recto-verso des coupures de presse annotées et datées. Sur une même page apparaissent ainsi juxtaposés ou superposés plusieurs articles de quotidiens. Rien ne lie ces articles entre eux si ce n’est la date de leur parution. Ainsi parfois, les journaux sont datés d’un ou de plusieurs jours de moins que la date inscrite par l’artiste en tête de page d’ I Read, mais cette date reste celle à laquelle l’artiste a précisément peint une Date Painting I Read est en cela directement relié à la Today Series et chacune de ses pages est en miroir avec une Date Painting. I Read nous informe donc autant sur l’intérêt qu’apporte l’artiste à l’actualité internationale que sur sa propre activité picturale.

Dans les années 1960, notamment aux Etats-Unis, des artistes conceptuels comme Joseph Kosuth ou Robert Barry, envisageaient la pratique artistique avant tout comme une philosophie de l’art, un exercice critique de questionnement sur sa nature et ses visées. Le langage était perçu comme une alternative aux recherches formalistes tournées exclusivement vers des finalités esthétiques.

On Kawara produit une image à partir d’une matrice conceptuelle, deux séries éloignées dans le temps témoignent de cet exercice de réécriture. De manière paradoxale, en faisant ressortir le texte au seuil du visible, On Kawara fait de nous, des spectateurs aux yeux grands ouverts et des lecteurs aveugles.

Même mort, On Kawara « tweete » encore. Depuis le mois de janvier 2009, l'artiste japonais partagé quotidiennement "I am still alive #art", et uniquement ces mots, en lettres de tailles souvent différentes. Par un procédé d'automatisation de ses tweets, il réussit à se survivre. Mais On Kawara s'est éteint le 10 juillet 2014 à New York, où il vivait depuis 50 ans, à l'âge de 81 ans.

Friedrich Engel (avec Ghislain  Mollet-Viéville) le 29/11/17

On Kawara I Read -> 19/01/18
Galerie MFC- Michèle Didier 
 66, rue Notre-Dame de Nazareth 75003 Paris