L'AUTRE QUOTIDIEN

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Jean Prouvé, le bâtisseur populaire des Maisons des Jours meilleurs

Pour qui s'interroge un tant soit peu sur les figures de l'architecture du siècle passé, le nom  de Jean  Prouvé est là, tapi quelque part, à résonner entre design, architecture et maîtrise d'ouvrage. Pour lui, tout était bon à ne se pas dire architecte, mais bâtisseur. Et l'humilité de ne pas s'être révolté contre la décision gouvernementale de ne pas aider au financement de ses “Maisons des Jours Meilleurs”, sollicitées par l'Abbé Pierre, la dernière rebuffade qui l'a éloigné des feux de la rampe.

Jean Prouvé a élevé sur le quai Alexandre III la plus belle maison que je connaisse : le plus parfait moyen d’habitation, la plus étincelante chose construite. Et tout cela est en vrai, bâti, réalisé, conclusion d’une vie de recherches. Et c’est l’abbé Pierre qui la lui a commandée! »
(Le Corbusier)

Considéré aujourd’hui comme l’une des personnalités les plus marquantes du design au XXe siècle, Jean Prouvé (1901-1984) abordait de la même manière la construction d’un meuble et celle d’un immeuble. Pour décrire cet équilibre entre authenticité des matériaux, construction innovante et peu coûteuse et design minimaliste, Le Corbusier qualifiait Prouvé de constructeur. Recouvrant à la fois les fonctions d’architecte et d’ingénieur, le terme traduit bien la singularité de l’approche élégante de Prouvé ainsi que sa profonde motivation sociale qui l’a amené à proposer des « solutions brillantes » aux besoins les plus urgents de son époque. Bien que Prouvé soit aujourd’hui étroitement associé aux ossatures en tôle d’acier plié de son mobilier désormais emblématique, ses contributions à l’architecture moderne et sa pratique socialement engagée en tant que constructeur – touchant à la fois à l’industrie, à l’architecture, à l’ingénierie et au design – méritent bien plus d’attention que celle qu’on leur a accordée jusqu’ici.

La conscience sociale de Prouvé dans son activité de designer s’est forgée dès sa jeunesse. Elle est étroitement liée à la manière dont il concevait et produisait ses pièces d’artisanat d’art. Par la suite, au cours des cinq décennies de sa carrière, il a toujours privilégié la collaboration, le respect de l’authenticité des matériaux et les applications éthiques des technologies industrielles. Très vite, son utilisation expérimentale des matériaux (notamment de l’acier, et plus tard de l’aluminium) attire l’attention de Mallet-Stevens, qui lui passe plusieurs commandes. En 1929, Jean Prouvé sera, aux côtés de Pierre Jeanneret, Le Corbusier et Charlotte Perriand, l’un des fondateurs de l’Union des artistes modernes (UAM). Une sorte de  Bauhaus camembert.

Champion de la structure métallique optimisée, puis de l'aluminium, mais prêt à utiliser le bois par défaut, Prouvé a toujours été d'avant-garde, à répondre à la commande publique en devançant les attentes de ses commanditaires. Ainsi, de la guérite demandée par l'armée pendant la Seconde Guerre mondiale, à l'école en kit des années 40, jusqu'à la “Maison des Jours Meilleurs”, il devance les attentes, crée dans la simplicité et l'astuce des structures démontables, rapidement bâtissables  en y intégrant des structures modulables et des blocs qui en simplifient la fabrication industrielle, en en divisant les coûts.

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Adaptant ses systèmes préfabriqués à un usage tour à tour civil ou militaire, Prouvé fut applaudi durant la Seconde Guerre mondiale pour ses conceptions audacieuses, ses techniques de construction innovantes, son utilisation de matériaux économiques mais de qualité, et pour son approche du design mêlant principes scientifiques et humanisme. Ses structures, pensées en terme de construction rapide pendant la guerre ( baraques militaire 4X4) ou l'après-guerre pour loger les baby-boomers et leurs parents (maison Métropole), les occuper par l'éducation (école de Bouqueval) ou le design des stations service (Total) sortaient tout droit des ateliers Prouvé de Maxéville où il testait ses prototypes avant de les proposer au public, à partir de structures démontables et légères pour répondre à la demande formidable de reconstruction d'après guerre, car la France manque de logements de 46 au milieu des années 70. 

Et c'est par une farce courtelinesque des fonctionnaires des années 50 du ministère de l'Industrie qui trouvèrent indécent de proposer un  bloc sanitaire au milieu de “la Maison des Jours Meilleurs” en en refusant le financement que Prouvé n'est pas resté dans l'histoire comme le bâtisseur de le reconstruction française qu'il aurait dû être. 

"Gentiment" pillé par Le Corbusier pour sa Cité radieuse à Marseille avec ses structures de bloc, ou encore trouvant avec les “Maisons en kit” de Philippe Starck, un écho lointain à ses vraies préoccupations sociales, Prouvé avait répondu, par avance, aux actuelles demandes de logements pour les populations migratoires en fabriquant à moindre coût des habitations. La morale de l'histoire veut qu'on rappelle que les grands groupes de BTP, à la suite de Le Corbusier (mais en pensant seulement rentabilité) ont mis la France sous le béton, là où aurait pu exister la légèreté des constructions de Prouvé et une plus grande horizontalité des paysages. L'Amérique, l'Amérique (tsoin-tsoin) … 

Jean-Pierre Simard

Jean Prouvé - Architecte des Jours Meilleurs - Fondation LUMA/éditions Phaidon