L'AUTRE QUOTIDIEN

View Original

l’impunité des artistes agresseurs sexuels, une exception culturelle française

Hier soir, une centaine de manifestantes, dont deux FEMEN, se sont réunies devant la cinémathèque française, à l'appel notamment de l'association Osez le féminisme, pour protester contre l'hommage rendu à Polanski, cinéaste accusé de plusieurs viols sur des mineures. Nous publions le communiqué de cette association qui rappelle à quel point l'exception culturelle française n'est pas celle qu'on croit, suivi d'un éclairage sur cette nouvelle affaire Polanski.

Alors que le monde prend conscience de la nécessité de mettre fin à l’impunité des agresseurs, notamment via le cas Harvey Weinstein, la direction de la Cinémathèque Française continue à célébrer, comme si de rien n’était, ceux qui sévissent dans le milieu du cinéma. Ainsi, cette institution culturelle a ouvert lundi 30 octobre une rétrospective à la gloire de Roman Polanski, pédocriminel accusé par 5 femmes de viols quand elles étaient mineures (10 à 16 ans à l’époque des faits) et qui a fui les Etats-Unis pour échapper à son procès.

En janvier 2018, la Cinémathèque Française célébrera également Jean-Claude Brisseau, condamné pour harcèlement sexuel puis pour agression sexuelle, et accusé de viols par plusieurs actrices. La programmation inclut Les Anges exterminateurs, film d’auto-absolution du cinéaste, justifiant ses crimes sexistes par sa position d’“artiste”, et renvoyant la responsabilité sur les actrices, “transgressives” et “perverses”.

La Cinémathèque française s’acharne à promouvoir le pire de la culture du viol, dans le choix des films projetés, comme dans le choix des cinéastes promus. Quand on sait que 89% des rétrospectives de la Cinémathèque ont été consacrées à des hommes, n’y avait-il pas de femmes cinéastes à mettre en lumière au lieu de ces violeurs ? Nous ne pouvons considérer cela que comme de la provocation misogyne inacceptable. Depuis plusieurs jours, l’indignation grandit : une pétition rassemblant  plus de 25 000 signatures demande l’annulation de la rétrospective de Polanski.

Dans un communiqué de presse lapidaire et choquant, la Cinémathèque déclare ne décerner “ni récompenses ni certificats de bonne conduite” et ne pas vouloir “se substituer à [la] justice”. Quelle justice, puisque Polanski a fui pour échapper à son procès depuis plus de 40 ans ? Le président de la Cinémathèque, Costa Gavras, et son directeur, Frédéric Bonnaud, persistent à parler de censure et à placer le débat sur l’enjeu “moral”, alors que c’est de crimes sexistes et pédocriminels dont il s’agit.

Nous pensons aujourd’hui à la souffrance de toutes les femmes et enfants violées et agressées par Polanski et Brisseau ; ces héroïnes qui pour certaines ont eu le courage de parler, qui ont vu leur parole niée, leur carrière entravée, et qui voient aujourd’hui leurs agresseurs impunis et célébrés.

Lire le communiqué sur le site de Osez le féminisme

Notre éclairage

Il est particulièrement choquant, comme le rappelle Osez le féminisme, que la cinémathèque française ait tenu à maintenir l'hommage à Polanski en cette période où la parole des femmes se libère. Alors même qu'une pétition demandant son annulation a recueilli plus de 27 000 signatures en quelques jours. Mais cela n'a rien d'étonnant. La cinémathèque est présidée, faut-il le rappeler, par Costa Gavras, qui s'était illustré par des propos extrêmement choquants, en plein débat sur l'affaire Polanski, alors que la justice suisse examinait une demande d'extradition des Etats-Unis, pour le viol commis en 1977 sur Samantha Geimer alors âgée de 13 ans. Interviewé le 28 septembre 2009 sur Europe 1, au lendemain de l'arrestation de son ami Roman Polanski par la police suisse, le cinéaste grec n'avait pas hésité à affirmer : "Vous savez, à Hollywood, les metteurs en scène, les producteurs sont entourés de très beaux jeunes hommes, de très belles jeunes femmes qui sont grands, blonds et bien bronzés. Prêts à tout". A la remarque de Marc-Olivier Fogiel qui lui faisait observer que "la fille n'avait que 13 ans", il rétorque : "Mais vous avez vu les photos ? Elle fait 25 ! Donc, il faut cesser de parler de viol."

Rappelons, s'agissant de Roman Polanski, que le cinéaste polonais est aujourd'hui accusé d'avoir commis cinq viols alors que les victimes étaient âgées de 10 à 16 ans, que le cinéaste n'a jamais été jugé pour le viol de Samantha Geimer, et que Catherine Deneuve avait encore défendu son ami réalisateur, en mars dernier, en expliquant qu'il avait "toujours aimé les jeunes femmes" : un euphémisme pour désigner des filles mineures. Marlène Schiappa, secrétaire d'Etat à l'égalité hommes-femmes, a bien dénoncé le maintien de la rétrospective, expliquant qu'il était "difficile de dire aux femmes 'vous devez libérer votre parole' et dans le même temps de dérouler le tapis rouge pour des personnes qui sont auteurs d'agressions sexuelles".

Ce qui ne fait pas oublier les propos de sa collègue de la culture. Françoise Nyssen, appelée à prendre position, a préféré détourner le débat en affirmant au micro de France Inter que « la rétrospective Polanski est prévue depuis très longtemps », ajoutant qu' « Il s’agit d’une œuvre, (...) pas d’un homme, je n’ai pas à condamner une œuvre ». La ministre de la culture feint ainsi d'ignorer qu'il n'y a aucune menace de censure concernant Polanski. Simplement un appel à la décence, alors que depuis l'affaire Harvey Weinstein, des dizaines de milliers de femmes témoignent, révélant l'ampleur incroyable des agressions à leur encontre. La réponse de Costa Gavras affirmant qu'il n'a pas à se substituer à la justice est totalement hors sujet, mais, on l'a vu, le cinéaste grec qui préside la cinémathèque, n'en est pas à son coup d'essai en matière d'ignominie. 

C'est d'ailleurs la spécificité du milieu du cinéma français que de soutenir mordicus Polanski, sous des prétextes foireux. On se souvient que le 18 janvier 2017, l'académie française des arts et techniques du cinéma avait désigné Roman Polanski président de la cérémonie des Césars. Un honneur que le cinéaste avait dû décliner sous la pression des associations féministes. Mais hier, malgré les nouvelles accusations qui ciblent le réalisateur franco-polonais, la cinémathèque a préféré rester sur ses positions. Une obstination qui montre à quel point, malgré les révélations sur Harvey Weinstein aux Etats-Unis, la grande famille du cinéma français tarde, elle, à prendre la mesure du harcèlement et des agressions qui sont courantes dans ce milieu. L'organisation d'une rétrospective en l'honneur du cinéaste Jean-Claude Brisseau, condamné deux fois pour harcèlement sur de jeunes actrices et une fois pour agression sexuelle sur une troisième, en est un nouveau symptôme éclatant.

Véronique Valentino