L'AUTRE QUOTIDIEN

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On cherche toujours Ornette Coleman

Un fantôme hante le Jazz, ce fantôme c’est Ornette Coleman saxophoniste et compositeur de génie. Tout le monde s’accorde pour lui reconnaître une importance fondamentale et ce rayonnement dépasse le simple monde du jazz pour déborder sur la musique contemporaine et même le rock dans ce qu’il a de plus intellectuel et de new-yorkais. Si cette importance ne lui est pas contestée, sa place par contre n’est pas exactement visible.

Ce double DVD présente une approche précise du saxophoniste texan, où l’auteur part à la recherche de ce fantôme qui hante le jazz, cette personnalité étrange, demeurée mystérieuse dont l’œuvre conserve intacte l’émotion d’une première écoute. 
On y entend cette phrase « Beauty is a rare thing…  Y être et ne pas être » de Ralph Ellison dans L’homme invisible, 1952.
Il y a quelque chose de comparable dans la personnalité et la vie de ce musicien qui apparaît par intermittence. En 1959, quand sort The Shape of Jazz to come,  Ornette Coleman vit alors sous terre. A la surface, l’industrie du disque, florissante, est tenue par des Blancs qui affectionnent un jazz autre, celui de la West Coast. En une poignée d’albums, il fait émerger une autre musique si singulière qu’elle nous affecte encore. Une musique systémique, harmolodique, structurée qui inclut l’improvisation libre. On a parlé de free jazz, changeant la perspective musicale: « Ce n’est pas un autre jazz, mais une musique autre, créative» entend-on dans le documentaire. Phrase on ne peut plus juste, car aucun système n’est libre totalement. La musique d'Ornette est langage, progression, avec cette façon de passer d’une note à l’autre, de voyager entre des idées.

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Storytellers Ornette Coleman Quartet

Avec l’aide de personnalités du jazz, de musiciens qui l’ont approché, ont joué avec lui, à travers des fragments (interviews, extraits de concerts anciens, jeu en live de musiciens dans les rues de NY, toutes ces pièces remontées de 2003 à 2016), il ressort un portrait en creux, passionnant car il éclaire la musique de ce saxophoniste qui continue à avoir une influence considérable, d’où le deuxième DVD, de 2016 de Stéphane Jourdain qui cerne dans Apparitions, la musique du saxophoniste Antonin Tri Hoang de l’ONJ Yvinek qui essaie de lancer des ponts, des connexions.

La musique d’Ornette Coleman n’est pas facile, Steve Lacy évoque un discours proche d’une technique de « destruction-reconstruction » mais si on s’immerge dedans, on finira peut être par lire un « jazz secret ». Ce qui peut demander un effort, du travail, car cette musique n’est pas facile, accessible à tous, rapidement, comme celles de Duke ou même de Miles (en apparence du moins).

Il faut élargir son champ d’écoute, accepter si ce n’est adopter, ce son nouveau, « cet air qui passe dans son sax et fait sens ». Il ne représente peut être pas un point de vue, un style mais simplement lui-même. Aldo Romano parle de sa légèreté, d’une fragilité qui en fait un « Douanier Rousseau du jazz », qui restera un mystère. Tous ceux qui l’ont approché évoquent encore, comme la pianiste Myra Melford, un engagement de toute une vie, une ascèse qui conduit à la liberté et là, vraiment, on peut utiliser ce mot de « libre » de façon pertinente.

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Comme Ornette avait le sens de sa valeur, il se faisait rare, demandant des sommes astronomiques et ne se plaignait jamais du chemin difficile qu’il suivait, qu'il s'imposait volontairement. Très pauvre, il lui arriva de jouer avec un saxophone en plastique et pourtant se souvient Joachim Kühn, il écrivait jusqu’à dix compositions par concert « on vérifiait la mélodie et je faisais les accords ». C’est aussi  un film sur l’absence d’un maître à penser, sur le refus de ce statut. Sur l’ombre portée d’un personnage présent sur une scène mais qui a refusé d’entrer dans la lumière. Un personnage présent par son absence qui va se révéler par la parole de ses pairs, les musiciens, et par leur musique qui, à un degré ou un autre, porte la marque des expérimentations du maitre. La seconde partie live lui rend hommage de cette façon, entre présence et absence.  

Rafaël Nietzsche le 26/10/17  sur dossier
 Looking for Ornette de Jacques Goldstein, 2016 avec
 Ornette apparitions de Stéphane Jourdain, éditions La Huit