Ununiform, le Tricky nouveau est arrivé
Depuis Ponderosa, on sait Tricky capable du meilleur. Même si, des fois, il perd le fil de son récit et s'embarque sur des courants impossibles à suivre. La liberté est à ce prix, comme le vent qui souffle sur la plaine avec nuages de poussière jaune et son soleil voilé annonçant un typhon proche. Ununiform, le dernier album, est tout en contrastes, mélodies et ambiances soutenues. Planté dans le désert, depuis trop longtemps…
Tu en as marre de l’uniformisation. T’allumes ton poste. Tu cherches une station et tu tombes toujours sur la même soupe imbuvable. Tu décides d’arrêter de faire deux choses à la fois : jouer à ce stupide jeu de fruits et légumes et écouter les journaux du matin.
Et de commencer (plutôt) à manger tes fruits et légumes, en écoutant (de suite) de la bonne musique. Celle qui sort des sentiers rebattus. Tu dois te jeter toutes affaires cessantes (enfin … tes oreilles) sur l’album du trip hoppeur/ tricoteur Tricky. Ami, entends-tu sonner la puissance de l’hybridation ? Comme si le meilleur du groove, de la soul, de la house, voire le meilleur du rock avaient décidé de se faire une vraie touze fin de siècle. Un truc type Convergences, dont parle l’utopique Despentes dans Subutex. En 13 titres et pour de vrai.
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Il y a quatre ans déjà, un Tricky plus flouté que jamais sur la pochette de False Idols, creusait à la pointe dure les sillons d’une musique contrastée. Hardcore plein pot, mais sous les auspices d’une entière générosité. Cette énergie, tempérée par la reprise bouleversante de Valentine, surlignait parfaitement la justesse de cette musique. L’inspiration, ce n’est pas l’influence qui s'affiche en pied, c’est savoir reconnaître dans la musique d’où qu’elle vienne, un vocabulaire que l’on peut s’approprier pour en inventer un nouveau.
Avec Ununiform (littéralement « sans l’uniforme »), le sous-texte disparait. Refus de toute étiquette, disparition des frontières, annihilation des formes reconnaissables. On y va cash, en prêtre vaudou Jamaïcain, et c’est bien de magie dont il s’agit, Obia intro, qui ouvre l’opus, sorte d’incantation mi-mystique mi-naïve, montre le chemin. Une invitation à passer le réel sous les nombreux filtres sensibles d’un imaginaire aussi radical qu'intense.
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Mais c’est l’emblématique Wait For Signalqui marque (au tempo lent) l’entièreté du disque. Une anti-comptine, une ode au non-dit, déclamé avec la complicité de Asia Argento (pour le mystère, assurément). Quant au Blood My Blood, sépulcral au sonar angoissant, il nous laisse nous mouvoir dans les eaux sombres des décisions difficile à prendre… Quitter, laisser derrière soi, avancer malgré tout… Force indéniable, énergie du désespoir ou dernier sursaut d’un rythme cardiaque dont on surveillerait les moindres oscillations.
Tricky a le sens de la chanson. Avec sa guitare faussement folk, The Only Way confirme que le trip hop n’est pas avare de mélodie. Ce genre musical dont il est devenu un des meilleurs, sinon le meilleur, lui offre toutes les audaces, tous les contrastes, tous les mélanges - même les moins évidents. Plus c’est éloigné de l’électro et plus les chairs sonores se mêlent.
Tricky n’a pas eu une enfance vécue entre joie et bonheur. On le sait, c'est même le propos de cet album qui fume le calumet avec son passé lointain. Alors, si l’album est tout empreint d’une ambiance lancinante, celle-ci invite aussi à l'introspection et à la résilience.
Et tu finis par te dire que la musique permet cela. Un voyage sans limite aucune. Un temps à l’intérieur même du temps, qui t'appartient en propre et s'avère autrement plus riche que de le perdre en t’agaçant sur un jeu débile. Te voilà programmateur exigeant. Tu ne cherches plus des heures durant la bonne fréquence et le bon son… tu files chez ton disquaire (mais si !) et tu prend un plaisir aussi malin que magique, une fois rentré home avec Ununiform, à te poser pour l’écouter. Tu quittes l’uniforme… et tu reçois en cadeau le travail formel, libre et touchant d’un disque pas comme les autres, par un artiste singulier qui a fini par lâcher le morceau sur les glauquitudes du passé. Finalement, tu reprendras bien un peu de cette salade de fruits ( tu parles à mon père, tu parles à ma mère … )
Richard Manière le17/10/17
Ununiform de Tricky False Idols Records