L'AUTRE QUOTIDIEN

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Assomption sous l'occupant étranger

Une poésie acérée pour dire les facettes fatiguées mais vivantes de la Grèce d’aujourd’hui

L’or du veau coule dans ma bouche.
Entre mon corps, ma gorge et ΑΘΗΝΑ,
il n’y a rien.
Un baume de craie, une roche que je suis,
des cigales qui m’endorment par le sabre de leur cri,
trois cent vingt-sept fourmis
aux noms de feu.
Il est simple d’être une ville par le feu.
Il est simple et parfois gigantesque
d’être une ville par le feu.

Je connaissais luvan par son excellent recueil de nouvelles, « Cru », et par sa contribution secrète au recueil collectif « Adar » situé dans l’univers de Yirminadingrad. Je découvre ici sa poésie, grâce à ce petit recueil paru en 2016 aux éditions belges Maelström, dans la charmeuse collection Bookleg, qui offre « des livres de l’instant, livrets de performances, réédition de poche d’un livre que nous affectionnons, toujours à un prix contenu, dans l’esprit du bootleg musical ».

Ces 45 pages singulières, en format 18 x 12, intègrent une traduction en grec par Iota Gaganas : cette « Koímêsis » (« Assomption ») nous parle en effet de la Grèce d’aujourd’hui, mêlant avec une harmonie combattante de puissantes images historiques ou même bucoliques à des réalités politiques et économiques qui imposent chaque jour leur possibilité de désespoir.

L’ordre a un nom triste
dont on ne retient souvent que les consonnes

Glissant subtilement ici ou là des jeux de mots discrets à propos des noms de partis politiques, d’entités administratives ou d’organismes internationaux de la mise sous tutelle, luvan nous donne à saisir bon nombre des ambiguïtés et des palinodies qui accablent une population meurtrie et souvent humiliée, en résonance avec les entrailles ouvertes montrées par Chrìstos Ikonòmou dans « Ça va aller, tu vas voir », par Yannis Tsirbas dans « Victoria n’existe pas », ou encore, sous une forme encore différente, par Marie Cosnay et Myrto Gondicas dans « Ces nuits sont à toi, Alexis ».

Les poubelles suent sans réclamer.
Leur nom est Calme.
Dessous, les ancêtres se souviennent.
Dessous, grimés sous la figue
confite de brun
– enfoncés, rassasiés –
les ancêtres chantent quelque chose de mou.

Des êtres fatigués, des migrants en pleurs, des réfugiés désolés, des chômeurs honteux côtoient des ministres allemands des finances, des créanciers outragés, des banquiers conseilleurs et payés, des aubes dorées vêtues d’acier et toutes sortes de figures mythologiques arpentant incognito ces artères urbaines et ces villages écartés.

Dans le métro, un seul être vous regarde.
Il est debout et tient une corbeille
contenant six paquets de mouchoirs, qu’il vend.
Dans le métro, un seul être vous regarde
et les autres n’ont plus d’yeux. Deviennent peau.
Leurs faces suçottent tristesse comme
des paupières d’alcoolo le dernier glaçon
du dernier whisky.
Dans le métro, un seul être fait la manche
et tout est dépiauté.

Poignante et acérée, cette poésie vigoureusement cosmopolite et inspirée fait du mal nécessaire et convoie beaucoup de bien dissimulé. Donnant à voir une nouvelle facette du talent de luvan, sans doute plus coutumière à celles et ceux qui écoutant régulièrement ses performances en radio ou en scène, elle témoigne aussi merveilleusement de cette maîtriseserrée du langage que l’on connaît dans ses nouvelles.

Les élus chantent au calme plat.
Les cigales crissent comme un tapis de mouches.
Que plus jamais ne dansent les enfants du Pirée.

Luvan - Koímêsis - éditions Maelström, collection Bookleg
Coup de cœur de Charybde2
 

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