L'AUTRE QUOTIDIEN

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Il fait grand bleu dans les altérations de Dominique de Beir

Que serait le travail de Dominique de Beir aujourd'hui si elle n'avait pas appris le braille qui lui a donné l'idée de travailler la matière de ses supports en profondeur ? Cette pratique répétitive de la perforation s'articule autour d'une réflexion sur l'écriture. En créant des livres d'artiste constitués de feuilles perforées, elle s'interroge encore sur les différentes formes de graphisme et d'écriture tout en offrant, par la perforation aléatoire, à voir une non-écriture. « Se développe ainsi progressivement une réflexion sur les glissements entre dessin et écriture, voir et non-voir, plein et vide, surface et profondeur."

Dominique de Beir , Il fait Grand Bleu, 2007, carton, impacts, Collection Raja

 

Plus qu'un geste opérant une blessure, cette attaque radicale correspond d'abord à un exutoire calmant, une litanie agitée. Trouer signifie avant tout regarder autrement, agir dans les strates et les sensations de la profondeur. Réalisées de manière pulsionnelle, ces actions 'appel d'air" envahissent et creusent la surface de manière éclatée, la matière se déplace et rend visible des effleurements, des grouillements, des absences... Ma lutte avec l'image reste constante, elle n'a de réelle incarnation qu'en chute libre. La couleur arrive elle aussi comme une adversité. Jusqu'à présent, elle s'introduisait par erreur dans les matériaux, un carton bleu-nuit, un polystyrène saumoné, un aluminium brillant, un papier jauni par la cire d'abeille. Aujourd'hui, je l'affronte de plein fouet, je l'utilise comme un habillage du support, une strate supplémentaire à éplucher

Dominique De Beir, Altération, 6 mai 2014 Peinture, cire, impacts sur polystyrène — 32 × 23 × 2 cm © Dominique De Beir, Courtesy Galerie Jean Fournier, Paris

"Trouer, frapper, frotter, griffer, projeter, inciser, éplucher, brûler, creuser, découper, retourner... Tous les moyens sont bons pour introduire de l'accident dans la méthode, par exemple strier la surface avec une roulette de couturière marchant en arrière, un contrôle relatif dans la gestuelle suscitant des phénomènes inattendus dans le déroulé. Les outils prolongeant le corps sont un facteur déterminant pour la durée de l'action car ici tout est une question de vitesse, de déséquilibre et d'instabilité corporelle ».

Ce travail gestuel, soutenu par des outils de jardinage, d'agriculture, de couture, de chirurgie, de menuiserie, de cuisine, allant ainsi de la bobine perforeuse au râteau-rouleau et du hache-vite des années cinquante aux chaussures à écorcer les châtaignes...) et par la création d'outils nouveaux ou démesurés, Dominique De Beir ne conteste pas de le rapprocher d'un rituel où se mêlent de façon exacerbée le corporel et le sacré, voire d'une chorégraphie, évoquant également comme inspiratrice son admiration pour Pina Bausch.

Dominique De Beir, Altération, 8 novembre 2015, 2015 Peinture, cire, impacts, polystyrène — 29 × 21 × 3 cm © Dominique De Beir

Dominique De Beir expérimente pour attaquer ses supports et son recours à des matériaux pauvres associé à la mécanique gestuelle renvoie à certaines pratiques picturales de Pierre Buraglio ou encore Pierrette Bloch, dont elle a toujours été très proche. Se définissant comme peintre avant tout, elle cherche une forme de sensualité et de rapport tactile à la matière, avec aujourd'hui, une affirmation plus forte de la couleur. De dessins en installations, elle œuvre aussi bien sur des matériaux nobles que sur de la récupération.

Pour des œuvres à lire comme des fragments d'un autre grand livre, toujours à écrire, elle avance son propos … Forer, perforer, performer

Jean-Pierre Simard

Dominique De Beir 8/09 → 15 /10/16
Galerie Jean Fournier 22, rue du Bac 75007 Paris
Site de l'artiste, ici