L'AUTRE QUOTIDIEN

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Les abords ténébreux d'un hier magnifié, livre rock au passé.

Pour tous ceux qui voient encore l’Ardèche comme le pays des villages médiévaux avec une rivière qui sinue d’un rien à l’autre, en témoin d’un autre âge, avec campings à go-go, villages désertiques et bungalows à drapeaux hollandais claquants au vent de l’automne, entre Aubenas et Balazuc, d’Abrigeon apporte un démenti aussi sanglant que poussiéreux avec Sombre aux abords.

Mais sa poussière est toute de ciment qui brille comme expulsée des poumons des futurs sacrifiés à l’usine. Toute emplie de rage adolescente, de celle qui ne veut absolument pas entrer dans le rang, sur les traces des parents qui n’ont eu d’autre solution que la déroute des rêves et, en désespoir, se sont avilis au rouge, à l’absence et à l’abandon de soi.

Construit autour du Darkness on the Edge of Town de Springsteen, le poète a mis en page, en rage et en mots, le moment juste avant la désabusion qui a fait sauter le caisson de Nino Ferrer. Et ce, en dix chapitres, comme les titres de l’album de référence springsteenien qu’ils paraphrasent avec élégance, en les adaptant avec force emprunts à la littérature, la poésie (Desnos) et le cinéma de Godard.

Dix raison de se pendre donc, à sa prose d’abord, à la malédiction de la (F)rance profonde - là bas, tout en bas, en dessous de l’Auvergne à l’ouest de Montélimar.

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Dix leçons d’adolescence au pays du Mortel Ennui, de Chez Ces Gens-là, avec des trucs qui sonnent comme ça :

«  Chant I - Sales sols stériles (p.18)  (...) J'ai un projet, petite. Tu ferais bien d'écouter. Une sorte de rêve. Un rêve aussi concret que ces cauchemars qui nous éveillent en pleine nuit tant ils semblent réels. Un rêve, solide, un rêve à portée de main, fait de pâte et de terre, une boule argileuse, lourde. Pas un de ces rêves vaporeux, pas une fantaisie flasque, mais une bonne grosse boule de pâte de rêve solide et malléable. (...)

Évident qu’il s’agit d’un livre rock qui joue avec une langue en action, à la fois répétitive et elliptique, en s’offrant toute liberté sans caution «Ils clopent et crachent, cachent clopin à leurs copains clopant», «je fais mon petit bonhomme, chemine à ma manière»...) Je suis quand même pris d’un sentiment de malaise en fin de lecture. Mais ça doit être un défaut de lecteur rock à la base. Si j’aime bien Springsteen et particulièrement celui-ci avec Born to Run (et Nebraska), j’ai du mal à  y voir autre chose que l’exercice de style qu’il met en place.

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Au fond, pourquoi faire entrer de force la culture rock américaine de 78 dans un roman français d’aujourd’hui ?  Ne serions-nous que les enfants de cette culture qui tourne en boucles, volutes et fêlures, à partir d'un temps à tout jamais mythifié ? Et la grande envolée poétique en miroir de l'Ardèche pour territoire de f(r)iction comme le New Jersey de Springsteen a-t-elle un vrai sens contemporain ? Les rêves de fille, de travail, de vie, d'envol et d'ailleurs ont-ils encore une vraie justification quand 2016 explose autrement avec l'état d'urgence imposé pour faciliter la sauvegarde d'un Etat sans aucun justificatif autre que la répression pour éviter tout changement souhaité ?

Pourquoi transposer une soi-disante Fureur de Vivre US ( autre référence obligatoire du livre) quand cela me fait lire cet ouvrage comme un coup d’œil dans le rétro, quand d’autres thématiques plus actuelles ne demandent qu’à voir le jour ? D’aucun diront que l’existence du rock français est plus qu’allusive, par rapport à la diffusion de masse du rock anglo-saxon. Mais à cela on répondra qu’en 1978, année de sortie du Bruce, on avait quand même par ici quelques déflagrations salvatrices avec le Polly Magoo d’Asphalt Jungle ou OK Carole de Bijou. Tous faisant suite au cynisme de Dutronc ou à l’ironie de Nino Ferrer et de Ronnie Bird, en attendant Bashung et la Douce France de Carte de Séjour. Et puis, au fil des années 70, certains avaient déjà botté en touche, comme Barricade avec Galles 1 .

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Dans l’exercice de salubrité publique du roman hexagonal qui parle l'époque, Houellebecq à la suite de Vincent Ravalec ont fait le job, et si d’Abrigeon commençait à parler de Stains, de Vitrolles et du FN avec des rappers dealers de coke et des tekno warriors en pleine montée de Crystal Meth, comme saine remise à zéro des compteurs de la déprime armée de 2016 ?

Mais cela pour l’instant, on ne le trouve que dans le hip hop siglé Kalash Criminel du côté de 10,12,14 bureau ou 13 Block avec Griezmann. Pourquoi la mélancolie d’une époque révolue, quand la révolte actuelle est possible, hein ? Parce que là, l’exercice de style est beau, mais il est vain …

Jean-Pierre Simard

Julien d’Abrigeon - Sombre aux abords / Quidam éditions