L'AUTRE QUOTIDIEN

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Provoke / actions

Dans le cadre de Paris-Photo 2018, Steidl et Le Bal créent l’événement autour de la ressortie de la revue japonaise culte qui a révolutionné l’histoire de la photographie, Provoke. Discussions samedi 10/11/18 sur place, autour du magazine, de ses artistes, de son contexte historique et de ses liens avec l’émergence des arts performatifs, nommés alors actions et non performances, dans le Japon des années 60.

Daido Moriyama, sans titre, photographies extraites de la série Accidents (Akushidento),1969

Manifeste à la fois esthétique et philosophique, Provoke a opéré une rupture radicale en seulement trois numéros, publiés entre 1968 et 1969, avec des tirages à moins de 100 ex. Là, les photographes Takuma Nakahira, Yutaka Takanashi et Daido Moriyama, le critique Kōji Taki et le poète Takahiko Okada ont défini et imposé un nouveau langage visuel, «rough, grainy and blurred » (brut, flou et granuleux), à même - pour eux - de capter la complexité de l’expérience vécue par chacun et les paradoxes de la modernité subis par tous comme une aliénation.

« D’une certaine manière, nous qui tenons des appareils entre nos mains, nous nous interrogeons en permanence sur la signification de ce que nous «voyons », tout en aspirant à devenir des « yeux »nous-mêmes. »  
(Koji Taki)

Un pâle reflet francophone sera du côté des affiches, et publications de l'Atelier des Beaux Arts de Paris pendant Mai 68, en sachant que le mai nippon avait commencé dès 1962.

Parallèlement à l’essor fulgurant d’une société de consommation en mode occidental, le pays traverse pendant dix ans (de 1962 à 1972) une crise identitaire majeure qui se déploie sur de multiples fronts : bases militaires américaines à Okinawa, bataille contre la construction de l’aéroport de Narita, occupation des universités par les étudiants, pour éviter que les USA qui occupent le pays continuent à s'en servir de base arrière pour aller bombarder le Vietnam au napalm.

« Si j’arrive à changer d’état d’esprit, si j’arrive à changer moi-même,
alors mes photographies peuvent changer celui qui les observe
. »
(Ryuichi Kaneko)

Si les membres de la revue sont engagés sur le plan politique – à l’exception de Moriyama  –, tous partagent la conviction que la photographie s’est avérée jusqu’alors incapable de susciter prises de conscience et changements politiques. Pourtant, Provoke s’inspire formellement des stratégies d’auto-représentation des mouvements contestataires de l’époque : graphisme novateur, séquences suggestives, cadrages abrupts, et dichotomie entre la sophistication de la mise en page et la modestie des matériaux utilisés. Et ce désenchantement du politique par l'art, leur donnera la même sensation que le ASDLR des surréalistes, l'un sans l'autre ne peut fonctionner, mais compter seulement sur l'art pour déclencher la révolution reste une gageure… Un révélateur oui, un moteur non !

Parallèlement, le mode opératoire et l’esprit du magazine nourrissent et se nourrissent de l’émergence de la performance au Japon, notamment dans l’espace public. Ses grandes figures, les plasticiens Jiro Takamatsu, Genpei Akasegawa , Natsuyuki Nakanishi, Kōji Enokura, le fondateur de l’ankoku butō, Tatsumi Hijikata et le dramaturge Shuji Terayama, contribuent à briser les frontières entre action directe et image, et révèlent la force performative du médium photographique.

Les artistes investissent alors l’espace public, sous forme d’actions, interventions ou spectacles éphémères mettant en scène le quotidien. Contre toute récupération idéologique, ces actions n’en constituent pas moins une critique cinglante, souvent teintées d’ironie, de dérision
ou d’humour noir, d’une société industrielle et médiatique condamnée à la fuite en avant.

On peut encore trouver un parallèle occidental avec le Living Theater ou bien le Théâtre du Chêne Noir avignonnais pour l'agit-prop et les performances musicales bien barrées.

Anonyme, Contestation autour de l'aéroport de Narita, c. 1969 Art Institute of Chicago

Jean-Pierre Simard le 9/11/18

Sans titre, 1973 Araki Nobuyoshi / Collection Art Institute of Chicago

Dans l’esprit de la revue, le livre de l’exposition paru en 2016 restitue un flux incandescent avec ses 600 reproductions, pages et couvertures de livres, magazines - l’ouvrage reproduit l'intégralité des 3 numéros de Provoke :  affiches, pamphlets et objets de propagande, extraits de vidéo, rendus d’actions ou d’interventions dans l’espace public. (éditions Steidl)

Daido Moriyama, photographie extraite du livre Farewell photography (Sahshin yo Sayōnara), 1972 (Daido Moriyama / Collection privée)

Evénement Provoke, entre contestation et performance -> 10/11/18
au BAL, 6, impasse de la Défense 75018 Paris