Tendre est la nuit de Gonjasufi. Non, je rigole !
Pas moins de quatre ans passés entre Las Vegas et son repaire désertique californien pour accoucher de cet album qui franchit encore de nouvelles limites ; toujours aux confins du psychédélisme et du hip-hop. A vouloir signifier ensemble la haine et la peine, il nous refile la bande son de cette année 2016 , en version combat de rue, vue des porches, ou bien avec des jumelles pour mieux apprécier l’émeute qui n’en finit plus de passer.
A lui chercher des grands frères, il faut réentendre les Geto Boys dans l’oreille gauche et les fantaisies obsessionnelles des nippons de Speed, Glue & Shinki doublées par des vocaux filtrées par Kool Keith dans la droite. Et puisqu’il a rouvert l’école de l’abrasion, l’ami Gonjasufi y suit tout le cycle pour ne pas en perdre une miette.
Passés les premiers titres qui vous affolent le radar en vous collant dans un slasher qui tourne en boucle, on arrive bientôt à une autre écoute (attentive) qui démonte les murs et les barrages ( de synthés, de guitares, de filtres, de réminiscence dub et d’échos métalliques voire industriels). Et cet autre univers surgit avec de drôles de paramètres qui jouent bien sûr des éléments précités, mais pour en faire surgir ça et là, des mélodies outragées et outrageuses, tout autant qu’inattendues (Vinaigrette) . Comme si le monde changeait de couleurs et que les dominantes bleutées/grises donnaient le la à une autre gamme de tons.
Alors, la voix en repère ultime vient vous rappeler qu’on n’est pas là pour rigoler (The Jinx). Mais à force, on comprend les enjeux /douleur/haine et on voit se dessiner de vrais paysages qui jouent de cette violence avec maestria (Poltergeist). A oser les comparaisons les plus jusqu’auboutistes, on va dire que l’amateur de TF1 y fait son entrée, sans préalable dans le Dark Web. On verra ça comme le viol à la perceuse de Jean-Pierre Pernaud par le Joker ou l’équipe complète de Freaks venant régler son compte à un Nicolas Sarkozy qui leur aurait promis une retraite s’ils venaient applaudir à un de ses meetings… (When I Die)
Forte impression donc, d’un monde en ruines d’où surgissent des éclairs de passion (Surinifinity) qui se recomposent pour accoucher d’un monde palpable, étrange et souverain. On peut autant le voir comme un ultime album de hip-hop qui se perdrait en évitant les recettes usées pour se retrouver dans un avenir lointain et cataclysmique ou comme un album de rock qui refuserait les genres n’en privilégier aucun afin d’accoucher d’un nouveau son. Dans les deux cas, c’est probant ( Shakin Parasites). Et c’est une vraie réussite. Un album marquant. Un album miroir de cette année qui fait monter la colère pour voir qui la partage et où elle mène. Prémonitoire ?
Jean-Pierre Simard
Callus / Gonjasufi (WARP)