L'AUTRE QUOTIDIEN

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En Croatie, un historien révisionniste ministre de la Culture

Le nouveau Premier ministre croate, Tihomir Oreskovic (au centre), posant le 22 janvier au Parlement de Zagreb, avec les membres de son cabinet, parmi lesquels Zlatko Hasanbegovic (troisième rang au centre avec les lunettes). Photo EPA

Malgré son appartenance à l’Union européenne, Zagreb déroge aux valeurs fondamentales qui sont à l’origine du projet communautaire. Le Premier ministre croate a nommé, au poste de ministre de la Culture, l’historien Zlatko Hasanbegovic réputé pour faire l’apologie du régime collaborationniste des Oustachis lors de la Seconde Guerre mondiale.

Une décennie après sa candidature, la Croatie est devenue le 28e Etat membre de l’Union européenne en 2013. Cette accession devait être un symbole et une étape décisive dans le processus de transition démocratique du pays après son histoire mouvementée au XXe siècle.

La Croatie doit respecter et promouvoir les valeurs fondamentales de la démocratie, l’inclusion sociale et l’égalité des chances qui sont autant de garants pour la stabilité et la paix en Europe.

Cependant, le nouveau gouvernement croate manque visiblement à ses obligations.

Le Premier ministre croate, Tihomir Oreskovic, a nommé l’historien Zlatko Hasanbegovic au poste de ministre de la Culture. Ce dernier, en qualité d’historien, n’est connu que pour avoir défendu une approche révisionniste de l’histoire de son pays au XXe siècle. Récemment, il a publiquement déclaré que la défaite des Oustachis en 1945 représentait«la plus grande tragédie nationale» de la Croatie et a également plaidé pour la réhabilitation de Husein ef Dozo, l’une des figures de «la sinistre 13e division SS Handschar». Il a par ailleurs été prouvé qu’il a contribué au magazine intitulé l’Etat indépendant de Croatie en «hommage» au régime collaborationniste et génocidaire dirigé par les Oustachis, y faisant l’apologie de ce régime, de ses prétendues valeurs et de ses héros. En 1996, Zlatko Hasanbegovic avait écrit deux articles pour ce mensuel dans lesquels il louait les idées politiques d’Ante Pavelic et systématiquement niait les crimes commis par l’Etat indépendant de la Croatie fasciste. L’année dernière, Zlatko Hasanbegovic affirmait que«l’antifascisme [qui fonde la Constitution croate, ndlr] n’était qu’un concept vide».

Se souvenir des victimes du régime des Oustachis est pourtant essentiel. D’après les estimations les plus fiables, au moins 83 000 personnes ont été assassinées dans le camp de concentration et d’extermination de Jasenovac, considéré comme le Auschwitz des Balkans. Et ce nombre ne prend en compte que les victimes répertoriées et identifiées. Les Oustachis ont systématiquement ciblé, capturé, torturé et tué des Serbes, des Juifs, des Roms pour des motifs racistes, ethniques et religieux, ainsi que des musulmans bosniaques et des Croates pour des raisons politiques. Bien que le camp de Jasenovac ait constitué le summum de l’horreur dans l’Etat dit indépendant croate, les autorités collaborationnistes ont commis en bien d’autres endroits des atrocités et des crimes de masse. Les Oustachis, comme les nazis, ont fait preuve d’une haine et d’une cruauté sans limite qui révèlent le mal absolu au cœur même de leur doctrine et du système mis en place.

Zlatko Hasanbegovic instrumentalise les violences totalitaires de l’après-guerre pour discréditer la lutte contre le fascisme qu’il confond insidieusement avec les crimes du communisme, ce qui est une aberration.

Dans ses discours et ses publications, Zlatko Hasanbegovic met en cause les vérités historiques et les valeurs fondamentales de notre union politique.

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Zlatko Hasanbegovic n’a pas été choisi pour ses compétences dans le domaine de la culture, mais pour promouvoir l’idéologie qu’il incarne.

Ses premiers pas en tant que ministre de la Culture confirment ce constat. Il a supprimé le Comité pour les médias à but non lucratif, a débarrassé la télévision nationale croate des journalistes qui lui étaient hostiles, et a soumis les membres de l’Agence pour les médias électroniques à une pression croissante ignorant les inquiétudes exprimées notamment par l’OSCE à ce sujet.

Ces évolutions doivent tous nous préoccuper. Considérant l’Europe comme une communauté de valeurs partagées, nous devons affirmer qu’il n’est pas acceptable qu’un Etat membre puisse être porteur d’une idéologie exclusive et favorable au révisionnisme historique. Nous devons mobiliser nos énergies pour mettre un frein à ces évolutions en Croatie, qui s’inscrivent dans une inquiétante dérive en Europe centrale et orientale.

C’est pourquoi nous appelons à une action commune pour que l’idéologie, fondée sur le révisionnisme qu’incarnent les prises de position de Zlatko Hasanbegovic, n’ait plus sa place en Europe et en Croatie. Ce n’est pas une question d’opinion ou de sensibilité politique mais l’expression de notre attachement aux valeurs fondamentales qui sont à l’origine du projet européen.

Parmi les premiers signataires : Benjamin Abtan Président du Mouvement antiraciste européen (Egam), Ursa Raukar Actrice (Croatie), Beate et Serge Klarsfeld Ambassadeurs honoraires de l’Unesco (Allemagne et France), Mario Mazic Directeur des programmes à Youth Initiative for Human Rights (Croatie), Annette Wieviorka Historienne (France), Kim Campbell Ancienne Première ministre du Canada, présidente du World Movement for Democracy (Canada), Judith Butler Philosophe (Etats-Unis), Dario Fo Prix Nobel de littérature (Italie), Miguel Ángel Moratinos Ancien ministre des Affaires étrangères (Espagne), Richard Prasquier Vice-président de la Fondation pour la mémoire de la Shoah (France), Danis Tanovic Cinéaste (Bosnie-Herzégovine)Benjamin Stora Historien (France), Etienne Balibar Professeur émérite en philosophie à l’université de Paris-Ouest-Nanterre, chaire en philosophie moderne européenne, Kingston University London (France), Alain Finkielkraut Philosophe (France), Toni Negri Philosophe (France), Chantal Mouffe Professeure en théorie politique, University of Westminster (Belgique et Grande-Bretagne), Saskia Sassen Sociologue à Columbia University et professeure invitée à la London School of Economics (Pays-Bas et Etats-Unis), Nancy Fraser Philosophe (Etats-Unis), Caroline Mecary Avocate (France) Sari Nusseibeh Ancien président de l’université Al-Qods (Palestine), Henry Rousso Historien (France), Pap Ndiaye Historien (France), Catherine Withol de Wenden Professeure à Sciences-Po Paris (France)…