L'AUTRE QUOTIDIEN

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Clichés (autour une ceinture de béton), par Emmanuel Delabranche

© Géraldine Trubert


place de l’hôtel de ville c’est pareil être là sans savoir pourquoi
autour une ceinture de béton percée de mille fenêtres droites comme une maille sur la peau et les gens de voir par là la place sur laquelle tu es et les autres aussi comme toi par milliers les mains levées la tête couverte de bandes blanches de tissus tendus d’un bras à l’autre aux lettres noires comme certains ont la peau
si les manches sont retroussées c’est par conviction et les yeux dirigés vers la façade aux colonnes dressées pouvoir qui bientôt fléchira flanchera se couchera de côté les hommes à ses pieds unis réunis ne faisant qu’un
on demande l’unité et des crédits l’art et l’augmentation des débouchés on demande et la ville autour de border tenir comme de contenir et d’autres plus loin juste à la balustrade du jardin sud de la place à regarder faire à leur place
tu regardes les têtes tu sais d’où elles viennent l’hôpital ou le port renault et l’enseignement toute la ville ici devant à attendre comme les tours reconstruites que tout se retourne
la ville est un mur on la croit un dedans et de s’y plaire comme si du jeu on pouvait être gagnant mais tout lâche la main comme le temps et on perd bien plus qu’on avait avant
les poteaux et les fenêtres dressées les dalles sablées de béton brut les halls vitrés et les corniches le métal noir des garde-corps et celui galvanisé des persiennes te font face
alors le bruit de monter sur la place comme dans le ciel le soleil jour après jour et tous de recommencer les mêmes mots les mêmes chants et personne d’autre pour écouter et comprendre
ce que le vent porte les heures l’effacent
des bus de contourner la place des bus conduits par des non-grévistes des bus presque gris pour se fondre dans le ciel qui roulent à terre des bus aux passagers attentifs à cette foule réunie des bus on dirait un manège à tourner comme ça autour d’un axe des bus il y en a peu en fait les autres tous devant l’entrée de la mairie
le parking en est plein de travers à se demander comment sont arrivés là et comment pourront repartir sans se cogner des bus à trois portes accordéons devant au milieu à l’arrière des bus aux tickets semblables aux portes qu’on plie pour les composter à la montée deux ou trois ou plus selon la longueur du trajet mais jamais moins
ici un ça ne se dit pas ne correspond à rien
de la main on pourrait les pousser mieux les ranger les enlever si c’était pour jouer les bus mais sérieux sont les hommes devant dressés et leurs poings levés
la place n’a pas d’armes et il n’y aura ni affrontement ni dénouement ni issue favorable alors maintenant les hommes de se répandre dans les rues orthogonales sous les arcades aux boutiques largement vitrées et aux arrêts de bus files d’attente depuis des heures patientes raisonnées et eux de reprendre doucement le service chauffeurs encore à parler des droits des congés et des collègues et le mouvement de la ville de monter et la place de se vider
le sol n’y est pour rien ce sont tes jambes ou ta tête qui t’immobilisent sur la grille dessinée au sol de la place de l’hôtel de ville
partir tu ne le pourrais plus serait fuir tant de fois déjà et eux de ne rien voir de ce qui te retient là
le bureau du maire ne s’est pas ouvert à quoi bon renchérir il pense pareil préfère laisser faire laisser dire et du pouvoir n’en a pas sur ces choses d’état
le jour où il le perdra son bureau magnifique vue sur la place à l’ouverture carrée et immense au parquet de bois parois de béton plus rien ne sera comme avant ni ici ni ailleurs et seul aura gagné l’argent
la ville devant lui elle autour de toi vous l’avez voulue ainsi fière droite lumineuse et sans foi et la culture en son cœur et le travail pour tous et la mer à qui veut la ville devant lui elle autour de toi vous l’avez eue dans le regard et perdue
te retourner alors pivoter voir dans la perspective de la rue de paris un ferry quittant le port et sentir que l’horizon n’est pas au loin mais sous tes pieds et le sol de trembler et le sol de se soulever comme de respirer ton torse de se gonfler et l’air d’emplir les rues tous les autres balayés repoussés d’un coup de vent la ville nettoyée et le calme de revenir les choses de se poser les mots de s’écrire
la rue aux arcades est une brèche irriguant le centre tout vient par elle et la place un épanouissement en son bout tout s’y révélant mais la force se perd pareil et comme pour la vague sur la grève jetée le sol d’infiltrer et de ne laisser en surface que l’écume et l’usé
on les a poussés à déserter la ville laissée aux vents de l’argent
s’étaient battus pour elle pour nous
ont disparu avant

Emmanuel DELABRANCHE
"Dès que l’autorité se prétend légitime, elle demande à être déconstruite", Gilles Deleuze, « L’Abécédaire ».


Emmanuel Delabranche est architecte. Il construit, enseigne, écrit et photographie. Vous pouvez le retrouver sur son site et sur Twitter @edelabranche.
Clichés a été écrit en 2012. Le texte complet comporte 20 boucles et 20 dessins, cette boucle est la seconde.
Dessin : Géraldine Trubert, 2013