L'AUTRE QUOTIDIEN

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Génération migration : «Ce qui nous anime et ce qui nous tue»

«Nous traverserons ensemble». Une enquête noire et poignante de Denis Lemasson pour rendre les migrants visibles.

Inspiré de faits réels «racontés avec ce condensé qui subsiste quand on presse le réel comme une éponge», à partir de l’assassinat d’un migrant afghan dans un square parisien en avril 2009, le deuxième roman de Denis Lemasson, paru en janvier 2016 aux éditions Plon, constitue une fiction précieuse pour témoigner avec des angles multiples du parcours des migrants pour fuir la guerre, la mort et rejoindre l’Europe.

Empêtré dans un divorce conflictuel, le narrateur se trouve Square Villemin avec sa fille lorsqu’un afghan, Zaher, y est mortellement poignardé et expire sous ses yeux. Les migrants afghans invisibles jusque-là prennent avec ce drame une place au cœur de son existence, errants frappés d’invisibilité même pour lui, malgré son expérience  de médecin à Kaboul pour Médecins Sans Frontières. Il est «rattrapé» ce jour-là par son engagement humanitaire et le sang de la guerre.

«Sept années me séparaient de mon séjour en Afghanistan, pensais-je, voilà le temps d’incubation pour que cette sale guerre vienne saigner devant ma porte.»

Parcourant les lieux de Paris où les migrants tentent de survivre dans une précarité indigne, écoutant leurs histoires pour reconstituer l’histoire de cet homme devenu cadavre sur la pelouse du square, Denis Lemasson tisse un récit choral entremêlant les flashbacks et l’enquête du médecin, pour redonner une histoire à un invisible ; il raconte les menaces et dangers mortels qu’ont fui un adolescent et un traducteur afghan pour l’armée américaine, leurs sombres odyssées parsemées de dangers et d’impasses, pour rallier l’Europe depuis les provinces afghanes, et leurs espoirs persistants envers et contre tout.

Photo ® Joel Saget / AFP

«Combien de temps as-tu mis pour arriver depuis Kaboul ?
Deux ans et demi.
Tu sais combien de temps j’ai mis pour faire le chemin en sens inverse ? Six heures trente de vol de Paris à Dubaï, trois heures de transit dans les Duty Free, puis trois heures d’avion jusqu’à Kaboul. Au total, douze heures et trente minutes exactement. Comment as-tu mis deux ans, cinq mois, vingt-neuf jours, onze heures et trente minutes de plus que moi ? Voila ce que j’aimerais que tu me racontes.»

Dans «Quelle terreur en nous ne veut pas finir» (P.O.L., 2015), Frédéric Boyer invitait à surmonter le rejet ou la peur née de l’exposition à la précarité des migrants dans une géographie mondialisée et à accepter l’autre.

Grâce à cette fiction réaliste, enquête policière et sociale au cœur de l’actualité, Denis Lemasson va plus loin d’une certaine manière, en explorant la dureté des trajectoires des migrants et leurs espoirs, comme Marie Redonnet l’a fait de façon plus théâtrale et symbolique dans «La femme au colt 45» (Le Tripode, 2016).

«Les gens ne font rien parce qu’ils ont peur, ils sont tétanisés. C’est difficile de compatir avec les réfugiés quand soi-même on craint de finir à la rue… Et même si la population compatissait, il faudrait convertir cette émotion en travail politique…»

On peut lire sur D-Fiction ici une conversation passionnante entre Denis Lemasson et Xavier Boissel, que je remercie pour cette découverte.

Denis Lemasson sera l’invité de la librairie Charybde le 27 mai prochain en soirée pour fêter la parution de son roman.

 

Nous traverserons ensemble de Denis Lemasson aux éditions Plon
Coup de cœur de Charybde2
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