Bruce Wrighton vient d'entrer à Beaubourg qui a acheté 12 tirages de ce photographe à l'envers du rêve américain. Photographe de commande, pour subsister, il a poursuivi sa vie durant (38 ans) un travail de recherche artistique et plastique en parallèle. Le malaise tiré au cordeau, c'est lui.

Il avait comme terrain de jeu visuel son voisinage de Binghampton, une bourgade l’état de New York. Ses œuvres célèbrent les portraits de passants placides, d’automobiles antiques ou d’intérieurs désuets. C’est que ce photographe indépendant aime à présenter ses sujets évoluant dans une réalité laide et bien palpable où l’esthétique semble profondément enfouie. Le corpus de son travail artistique est constitué de trois séries : Streets portraits, Dinosaurs and Dreamboats et St-Georges and the Dragon.

La première, représentation photographique de la classe sociale ouvrière de Binghampton, se fait symbole d’art de captation, comme si Bruce Wrighton réussissait à saisir les émotions des sujets aussi bien que leurs corps. Les veilles dames, prolétaires ou couples de tout âges apparaissent humbles, maladroits, timides et moroses. L’artiste tend ainsi à donner une image négative sur papier glacé d’un « L’American way of life » heureux et prolifique, devenu mythe et commérages, fixant ses marginaux, oubliés d’une société sévère.

La deuxième série, Dinosaurs and Dreamboats, plonge dans l’enfance masculine d’une part, par la représentation hautement cinématographique des stéréotypes de carrosseries américaines des années 50, et dans l’image glorieuse d’une Amérique optimiste de l’autre, par la présentation d’intérieur cossus et colorés bien que teintés de maccarthysme.

La troisième série, St-Georges and the Dragon, explore la puissance des symboles et icônes que l’artiste trouve aux détours de ses vagabondages. Il cherche ainsi à transcender la banalité du quotidien en rendant emblématiques ces scènes insolites et curiosités involontaires.

Bruce Wrighton affirme un certain penchant pour la laideur et tout ce qui apparaît contraire à la conformité. Avec les couleurs chatoyantes de ses œuvres, à l’instar de Diane Arbus ou de Robert Frank, l’artiste prône sa subjectivité sous des allures documentaires. Sa réalité artistique se faufile, hasardeuse, pour créer un style direct et contraire aux indétrônables canons de beauté normatifs. Ses photographies continuent l'œuvre de la Beat Generation marquant l’aliénation et la chute du grand rêve américain pour mieux affirmer que contre la ruine du vieux monde, il n’y a qu’une défense, celle de l’Art et la Création.

Maxime Duchamps (avec Les Douches/Galerie)