L'AUTRE QUOTIDIEN

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Ron Butlin a les dents du fond qui baignent dans la boue… 

Un des romans majeurs de la Grande-Bretagne des années 1980. (Irvine Welsh)

«Le son de ma voix» est l’histoire d’une distance : la distance entre ce que la vie de Morris Magellan devrait être, lui qui a tout pour être heureux – un emploi stable et bien payé chez un fabricant de biscuits, une femme aimante et compréhensive, deux enfants et une jolie maison -, et la réalité de sa vie intérieure d’alcoolique chronique, celle qu’exprime la voix de ce roman ; et aussi la distance entre sa perception du monde et l’image qu’il croit projeter et la façon dont les autres le perçoivent, – sa femme Mary, sa secrétaire, ses collègues.

Dans le monde intérieur de Morris Magellan, toutes les journées reproduisent le même mouvement, perfection du lever du soleil et de la table du petit déjeuner qui bientôt vole en éclats, boue qui recouvre tout, les rues, le bureau, boue qui s’immisce jusque dans la bouche de Magellan pour ne se dissoudre que dans l’alcool. Nous lecteurs en sommes les témoins, distanciés par le tutoiement du narrateur qui s’adresse à lui-même, des dérèglements quotidiens de sa lucidité, de la puissance éphémère qu’il éprouve, du côtoiement journalier de l’apogée et du désastre.

Le début et la fin du roman sont particulièrement lumineux de justesse et de finesse ; dans le premier chapitre, la perception du monde et le rejet du père dans les mots de l’enfant ; en refermant le livre c’est finalement le lecteur qui a les mains qui tremblent.

Ce roman de l’écrivain et poète écossais Ron Butlin, publié en 1987 et traduit en français en 2004 par Valérie Moriot pour Quidam Éditeur, est une oeuvre magistrale, «un des romans majeurs de la Grande-Bretagne des années 1980» comme Irvine Welsh le souligne dans sa préface.

«Chaque jour, chaque instant presque, tu dois recommencer la lutte encore et encore – la lutte pour être toi-même. Tu continues à essayer, comme un acteur qui apprend son texte, avec la croyance qu’à la fin, si tu travailles assez dur, tu joueras le rôle de Morris Magellan de façon convaincante. Parfois tu espères aussi te convaincre toi-même.
Les années passant, tu es devenu très habile à percevoir ce qu’on attend de toi, sans respect pour tes propres besoins ou souhaits. Toi tu n’as jamais été accepté, ni essayé de l’être ; toi tu n’as jamais aimé, haï ou été en colère. Au lieu de tout cela, tu as connu seulement les angoisses du spectacle : ne pas faire ne serait-ce qu’une erreur en oubliant une phrase ou en manquant une réplique.»

Charybde 2 en parle très justement sur ce même blog ici.

Le son de ma voix de Ron Butlin Quidam éditeur
Charybde7
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Elle rêve très souvent de la bibliothèque de Babel, elle a l’œil qui brille dès qu'elle parle de livres, elle a le rire et les enthousiasmes facilement transmissibles, elle tente assez souvent en écartant les piles de livres d’accéder à son bureau pour écrire des notes de lecture sur le blog Charybde27, et elle a un goût prononcé pour les défis absurdes, et pour celui, le plus important de tous, de surmonter sa timidité pour interviewer les auteurs à la librairie...

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